ASILOMAR CONFÉRENCE D' (1975)
La rencontre qui s'est tenue du 24 au 27 février 1975 à Asilomar en Californie ne fut pas une conférence scientifique ordinaire du fait de la présence d’une quinzaine de journalistes. Elle était organisée par un petit groupe de scientifiques mené par Paul Berg, biochimiste de l’université Stanford (Californie). Quelque 150 scientifiques étaient invités, dont un peu moins des deux tiers étaient américains et une cinquantaine originaires d'Europe et d'U.R.S.S. L’objectif de cette conférence n'était pas simplement d'exposer les avancées dans un domaine de recherche, le génie génétique, bien que cela occupât la partie la plus importante de ce congrès, mais aussi de débattre sur les risques et la sûreté des expériences de ce domaine naissant.
Dès juin 1973, lors d'un colloque scientifique sur les acides nucléiques qui eut lieu sur la côte est des États-Unis, des inquiétudes s'étaient déjà exprimées et furent communiquées dans une lettre ouverte à l'Académie des sciences des États-Unis (National Academy of Sciences ou N.A.S.). La revue américaine Science publia cette lettre qui mentionnait la possibilité de créer des virus nouveaux, hybrides, par combinaison d'ADN de différentes origines, virale comme bactérienne. En raison des conséquences possibles de ces molécules, aux propriétés imprévisibles, sur la santé des employés de laboratoire mais aussi du public, les signataires demandaient l'établissement d'une commission. La présidence en fut attribuée à Paul Berg au nom de la N.A.S.
En juillet 1974, Paul Berg et le comité qu'il avait constitué demandèrent dans Science et dans les comptes rendus de la N.A.S. (P.N.A.S.), d'une part, un moratoire sur certaines expériences de génie génétique, et, d'autre part, une réunion pour examiner les risques posés par l'ADN recombinant. Le moratoire, que les scientifiques étaient priés de suivre de leur propre initiative, visait les expériences permettant de transférer, à des souches bactériennes, de nouvelles résistances à des antibiotiques ou des gènes de toxines. Il visait également l'emploi d'ADN issu de virus oncogènes (c'est-à-dire, susceptible de causer des cancers) dans des ADN se répliquant (des virus par exemple), dans la crainte de créer une épidémie de cancer. Quant à la réunion demandée, ce fut la célèbre conférence d'Asilomar.
La conférence d'Asilomar se conclut par l'adoption d'un texte publié en juin 1975 demandant un encadrement strict des expériences de génie génétique, ce qui sera réalisé aux États-Unis par les National Institutes of Health. En fonction de la dangerosité estimée de l'expérience envisagée, des mesures de confinement, que l'on jugerait aujourd'hui sévères, étaient proposées. Autrement dit, c'est la levée du moratoire. Enfin, le rapport recommandait le maintien du moratoire sur certaines expériences comme le clonage de gènes de toxines.
Paul Berg, lauréat du prix Nobel de chimie en 1980, a considéré cette conférence comme un moment de conscience aiguë, de la part de la communauté scientifique, de ses responsabilités. Les techniques de l’ADN recombinant offraient de telles possibilités scientifiques et commerciales que les restrictions toutes morales du moratoire ne pouvaient que rapidement tomber. C’est ce qui s’est passé quelques mois plus tard avec une reprise générale de l’expérimentation, le plus souvent encadrée par le contrôle de comités locaux de génie génétique.
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Écrit par
- Jérôme PIERREL : maître de conférences en épistémologie et histoire des sciences, université de Bordeaux
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