CONFESSIONNALISME
Fondement et justifications
Si le confessionnalisme a représenté pendant des siècles, pour de bons esprits comme pour le plus grand nombre, l'expression naturelle et légitime des rapports entre l'État et la religion, entre l'ordre social et la conscience individuelle, c'est qu'il est de nature à satisfaire à la fois le théologien préoccupé du salut personnel des âmes et l'homme d'État soucieux de la cohésion du groupe dont il dirige le destin collectif. Pour le croyant, le problème est simple et sa solution évidente : assuré de détenir la vérité, comment ne brûlerait-il pas de la défendre et de la communiquer ? La vérité a des droits sur les esprits et l'État a des devoirs à son endroit, notamment celui de prévenir la propagation de l'erreur. Pratiquer à l'égard des croyances religieuses la liberté d'indifférence, ce serait faire profession d'athéisme. Quant aux politiques, ils ne concevaient pas qu'une société puisse se constituer et tenir assemblée sans se référer à un ensemble de normes communes trouvant elles-mêmes leur fondement et leur justification ontologique et psychologique dans une foi transcendante, de préférence révélée, donc une religion. Au nom de quelles valeurs exiger des individus qu'ils respectent les contraintes sociales, observent les lois, leur sacrifient leurs intérêts, éventuellement leur existence ? Faute d'une justice divine, comment fonder la justice des hommes ?
La conviction que la diversité des confessions détruirait l'unité du groupe parce que celui-ci a besoin d'une religion nationale – qui peut du reste être une des grandes religions universelles identifiées par l'histoire aux traditions nationales – est si générale et si forte que le premier mouvement des régimes qui, au xviiie comme au xvie siècle, rompent avec la religion des ancêtres fut de lui substituer une autre religion. Personne ne croyait possible de fonder valablement un avenir collectif sur ce qu'on appellera plus tard la laïcité de l'État. Ainsi, en 1789-1790, les Constituants, qui hésitaient à accorder la liberté religieuse à l'individu, entreprirent-ils d'abord de révolutionner le catholicisme pour le mettre en harmonie avec la société révolutionnée. L'entreprise ayant échoué à la suite de la condamnation de Rome, les révolutionnaires s'engagèrent dans une série de tentatives infructueuses pour reconstituer une société confessionnelle. Cette façon de penser est si loin d'être périmée qu'elle inspire encore toutes les sociétés qui reconnaissent une idéologie officielle. Partout où le pouvoir professe un dogme et impose l'enseignement d'une idéologie d'État, nous retrouvons, compte tenu de ce qui sépare religion et idéologie, les traits constitutifs de l'État confessionnel : confusion entre les ordres, subordination de la politique aux normes définies par une doctrine, obligation faite aux individus d'adopter la croyance que l'autorité déclare vraie. Par rapport au confessionnalisme d'Ancien Régime, le cas de l'Union soviétique et de ses satellites présentait cette originalité que les politiques et les idéologues étaient les mêmes : aussi les dirigeants y obéissaient-ils simultanément aux préoccupations des hommes d'État et aux déterminations des théologiens.
Ainsi fondée sur deux systèmes parallèles de justification et conforme, à la fois, à l'idée que les religions se font de leur rôle et de leur place, et aux exigences de la raison d'État, on conçoit que la confessionnalité ait été la formule la plus commune des relations entre société politique et Églises.
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Écrit par
- René RÉMOND : président de la Fondation nationale des sciences politiques
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