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CONFIGURATION SOCIALE

Outil conceptuel développé par Norbert Elias, la notion de configuration est explicitement conçue dans l’optique d’une remise en cause de la dichotomie individu/société qui grèverait la plupart des théories sociologiques. Selon l’auteur, celles-ci seraient saturées d’idéologies et, par conséquent, inaptes à s’émanciper de représentations du monde social en termes de « double dépendance », les unes plaçant les stades d’intégration collective des individus au-dessus des stades individuels, les autres inversement postulant le primat de l’individu pris isolément. Démarche sociologique exigeante, le dépassement de ces antinomies est d’autant plus difficile à mettre en œuvre que l’intériorisation de ces conceptions clivées aurait pour origine les moments de la prime enfance, la tendance à l’individualisation et à la focalisation sur l’expérience de soi se renforçant par ailleurs à l’aune d’un processus social de long terme, à mesure que s’intensifieraient les relations de dépendance réciproques entre individus. Les conditions de possibilité d’une telle dialectique renvoient dès lors à un travail d’« autodistanciation » qui suppose de parvenir à se reconnaître soi-même comme « une personne parmi d’autres personnes », investie dans des rapports de dépendance et d’interdépendance. La configuration désigne dans cette perspective la figure globale que forme l’ensemble de ces individus pris dans ces systèmes de relations réciproques, sans qu’aucun des deux termes qui la composent, les individus et le système de relations ‒ pensé, contre les conceptions substantivistes, comme tout aussi concret que les réalités matérielles et corporelles, puisse être considéré comme prévalant sur l’autre. Dépourvus d’existence et de substance sans l’implication des agents sociaux les constituant, les rapports d’interdépendance, envisagés dans le temps long, façonnent et déterminent en retour les individus qui les fondent, leur manière de voir, de penser et d’agir.

La notion est applicable pour l’étude de toute relation d’interdépendance, depuis les plus restreintes, par conséquent immédiatement perceptibles, tels un rapport de concurrence de face à face pour un quelconque bien social ou, plus concrètement, une simple partie de cartes, un match de football ou encore une démonstration de danse folklorique – situations qu’Elias mobilise successivement pour rendre compte de son modèle (Qu’est-ce que la sociologie ?, 1981) ; jusqu’à des formations sociales et humaines aux chaînes d’interrelations longues et complexes, comme une nation, un village ou une cour royale. Quelles que soient les propriétés des entités ainsi envisagées, la sociologie configurationnelle suppose de porter une attention particulière aux écheveaux de relations dans lesquels sont pris les agents sociaux, aux degrés et aux formes variés des dépendances constitutives des configurations humaines. Des dépendances qui, si elles sont toujours réciproques, n’en sont pas pour autant égales ou stabilisées dans le temps. « Équilibre de tensions fluctuantes », chaque configuration est ainsi structurée dynamiquement au gré de l’évolution des rapports entre des groupes établis et des outsiders, à partir du déroulé d’une multiplicité de relations constituées à différentes échelles, de type « moi et lui » et « nous et eux ». Ces variations des équilibres de force au sein de ces multiples associations interdépendantes sont au principe des marges de manœuvre différenciées des individus, de leur plus ou moins grande liberté d’action et capacité respective à influer sur la configuration dans laquelle ils s’inscrivent. Objet central de cette sociologie, la question du pouvoir est dès lors comprise de manière relationnelle, en fonction de la position des agents dans les systèmes toujours changeants d’interrelations[...]

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Écrit par

  • : docteur en science politique, chargé de recherche au Fonds de la recherche scientifique de Belgique

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