CONFLITS SOCIAUX
Un conflit est une relation antagonique entre deux ou plusieurs unités d'action dont l'une au moins tend à dominer le champ social de leurs rapports. L'existence d'un conflit suppose en effet deux conditions apparemment opposées : d'une part, des acteurs, ou plus généralement des unités d'action délimitées par des frontières, et qui ne peuvent donc être des « forces » purement abstraites ; de l'autre, une interdépendance de ces unités qui constituent les éléments d'un système.
Autonomie des éléments et unité du champ peuvent se combiner de manières extrêmement variables. Ces combinaisons peuvent se placer sur un axe :
– D'un côté, des acteurs réels, possédant un système de décision, une « volonté », et tendant à maximiser leurs avantages propres, soit par la poursuite rationnelle d'un intérêt de type économique, soit par le renforcement de leur propre intégration, soit selon tout autre processus. Le champ des acteurs en conflit est alors défini de manière matérielle. Il s'agit de s'approprier des biens rares, par exemple des territoires, des matières premières, des marchés. Plus les unités d'action sont des acteurs réels, moins le champ de leurs rapports est social. La rivalité est le point extrême de ce type de conflits, qu'on appellera conflits intersociaux, quelle que soit la nature des acteurs, individus, groupes ou collectivités.
– À l'inverse, d'autres conflits se définissent d'abord par l'unité d'un champ social. Le conflit est intrasocial et, par conséquent, les unités d'action ne constituent que faiblement des acteurs réels. Le conflit n'est pas la rencontre de deux systèmes sociaux ou de deux personnes, mais exprime une contradiction inhérente au système considéré. Lorsqu'on parle d'un conflit de classes, on désigne un ensemble de rapports sociaux à partir duquel se définissent des acteurs, qui peuvent être plus ou moins fortement constitués et conscients de leurs propres intérêts, mais jamais définis comme des ensembles indépendants l'un de l'autre et entrant en concurrence pour l'appropriation de certains biens sociaux.
Outre ces types opposés de conflits, il existe des rapports sociaux qu'on ne saurait nommer « conflits » :
– D'une part, au-delà des formes extrêmes de conflits intrasociaux existe la pure concurrence entre des joueurs. K. E. Boulding la définit ainsi : « La concurrence existe quand toutes les positions potentielles de deux unités de comportement sont mutuellement incompatibles. » Définition strictement objective et qui n'implique aucun rapport social, aucune intention des acteurs. Le même auteur définit, par opposition, le conflit comme « une situation de concurrence dans laquelle les parties sont conscientes de l'incompatibilité de positions futures potentielles et dans laquelle chaque partie désire occuper une position qui est incompatible avec les désirs de l'autre ». Boulding est parfaitement conscient du caractère vague et insuffisant de cette définition. Mais elle a le grand mérite de souligner qu'il n'y a pas de conflits s'il n'y a pas d'acteurs, ou plus généralement de rapports sociaux, qui supposent des comportements orientés et valorisés, constituant, au-delà du calcul, une action sociale.
– D'autre part, on ne peut davantage parler de conflits lorsque les éléments d'un système sont en tension les uns avec les autres, en raison de la différenciation des statuts et des rôles à l'intérieur de tout système complexe. Si les employés envient les cadres, si les jeunes se sentent différents des vieux, il se forme des tensions entre eux, mais non pas nécessairement un conflit. Celui-ci n'apparaît que si le thème du pouvoir est introduit, ce qui rejoint notre définition initiale. Le pouvoir n'est pas la[...]
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Écrit par
- Alain TOURAINE : directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.).
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