CONFLITS SOCIAUX
Les conflits de pouvoir
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Les analyses qu'on vient d'évoquer, et qui ont le grand mérite de réintroduire au cœur des organisations l'existence du conflit, recèlent cependant une certaine ambiguïté ; l'usage qui y est fait du terme « pouvoir », pratiquement confondu avec celui d'influence, le montre bien. La capacité d'un acteur de modifier le comportement d'un autre en fonction de ses propres objectifs définit son influence, et ce terme s'oppose clairement à celui d'autorité, qui introduit au contraire l'existence d'une règle centrale appliquée par délégation. Mais aucune entreprise n'est un pur marché d'influence. Aucune n'est privée de règles et de normes. L'influence ne s'exerce qu'à l'intérieur de cet ordre, donc à l'intérieur d'un système de pouvoir. Celui-ci est la capacité d'imposer des modes de relations sociales et, en particulier, des relations d'autorité. Il décide des fins communes. Les conflits organisationnels sont, d'un côté, des tensions à l'intérieur d'un système social, de l'autre, des formes de concurrence et d'influence. Ils ne peuvent pas être identifiés aux conflits dont l'objet est le pouvoir, la capacité d'imposer des fins, et donc des formes d'organisation, à l'ensemble d'une collectivité occupant un certain territoire, défini de manière plus ou moins directe.
On arrive ici au cœur du problème : les conflits sociaux ne sont ni des rivalités entre des acteurs indépendants, ni des tensions entre des acteurs définis par la différenciation des statuts et des rôles à l'intérieur d'une organisation. S'il est exact que les organisations les plus modernes sont plus complexes et recèlent donc des conflits internes et limités plus nombreux, il ne l'est pas moins qu'elles constituent aussi des systèmes politiques de plus en plus puissants, qui visent à une accumulation croissante des ressources et de la capacité de décision dans les mains des dirigeants.
Si le changement social n'était que l'adaptation à des conditions elles-mêmes changeantes, il existerait, en plus des tensions, des concurrences et des rivalités ; et il n'y aurait pas de conflit social. Mais le changement est d'abord l'investissement, le prélèvement de ressources consommables et leur emploi au service de ce qui n'est pas présent et qui varie selon les valeurs de la société. Telle est la première face du conflit social, la lutte de l'investissement – économique ou non – contre la consommation. Mais ce prélèvement suppose et crée à la fois la puissance du groupe dirigeant. Celui-ci, en même temps qu'il œuvre pour l'avenir, jouit de la gestion des biens accumulés et identifie son pouvoir aux valeurs de la collectivité. Telle est l'autre face du conflit social : la lutte du peuple contre les privilèges.
Le conflit de classes oppose une « base » d'agents économiques à ceux qui contrôlent l'emploi des ressources investies dans un projet de développement social. La base sociale défend, d'un côté, sa consommation, son présent particulier contre l'investissement pour un au-delà, mais aussi s'oppose à l'appropriation par la classe dirigeante des ressources accumulées. Parallèlement, la classe dirigeante est à la fois un instrument de « progrès » agissant au nom de valeurs sociales et ce que les sociologues appellent un « modèle de satisfaction différée » (differed gratification pattern) d'un groupe particulier utilisant une partie des ressources accumulées pour son profit propre, donc d'une manière non conforme aux exigences des valeurs de progrès reconnues par la société. La lutte des classes est présente dans toute société, puisqu'elle naît de la contradiction[...]
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Écrit par
- Alain TOURAINE : directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.).
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