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CONFLITS SOCIAUX

Conflit et intégration

Rien n'est plus dangereux que d'opposer, d'une part, une étude du système social, entièrement fondée sur les conditions de l'intégration, et, d'autre part, l'étude des conflits entre unités sociales indépendantes – comme si la paix régnait à l'intérieur des nations et la guerre dans les rapports entre les États.

L. Coser, s'inspirant de G. Simmel (1858-1918), a insisté sur ce thème. Bien que son entreprise soit limitée, L. Coser prend utilement position contre un penchant trop marqué de la sociologie américaine à privilégier les problèmes de l'équilibre et de l'intégration. Il rappelle que non seulement la génération des fondateurs de la sociologie aux États-Unis, mais encore la génération suivante qu'on identifie souvent à l'école de Chicago, formée autour de Park, a porté le plus grand intérêt aux conflits sociaux. Au contraire, après la guerre, après la liquidation de la grande crise et au cours d'une période de rapide développement économique lié à l'absence relative de graves conflits sociaux internes, la sociologie s'est davantage souciée du fonctionnement d'un système défini par un corps de valeurs et de normes centrales que de l'étude des conflits sociaux. On parle alors plus volontiers de déviance, de marginalité, de « dysfonction » ou d'anomie que de conflits. À l'inverse, les sociologues européens, et surtout ceux de régions où la sociologie se développe rapidement, accordent, dans l'étude du développement économique et du changement social, une importance centrale aux conflits en même temps qu'aux rapports de pouvoir et de domination. Mais une telle opposition est chargée d'idéologie et correspond davantage à l'état des sociétés étudiées qu'aux besoins de l'analyse sociologique elle-même.

Il est donc indispensable de dépasser l'opposition trop simple d'une sociologie de l'ordre et d'une sociologie du mouvement, d'une sociologie de l'intégration et d'une sociologie des conflits. On a déjà vu que la théorie des organisations avait fait des progrès décisifs dans cette direction, en critiquant aussi bien la conception wébérienne de la bureaucratie que l'école des relations humaines.

Il n'y a pas d'opposition entre le conflit et l'intégration du système social. Mais leurs liens s'établissent à plusieurs niveaux.

Les modes indirects d'expression des conflits

En premier lieu, l'existence d'un conflit peut renforcer l'intégration sociale. Mais il ne s'agit pas ici d'une liaison véritable entre le conflit et l'intégration, puisque c'est le conflit entre deux unités d'action qui renforce l'intégration de chacune d'entre elles. C'est ainsi que Durkheim a rappelé qu'en période de guerre l'anomie tendait à diminuer. Des valeurs et des normes « sociétales » s'imposent avec plus de force. Même si le thème de l'union sacrée fait bon marché de certains conflits, il n'en demeure pas moins que le système de contrôle social se renforce en temps de guerre et entraîne une intégration sociale plus forte.

Depuis E.  Troeltsch (1865-1923) et G. Simmel, on a souvent évoqué le rôle des sectes, unités de taille limitée, très cohésives, imposant à leurs membres un consensus très poussé, et en lutte avec un environnement hostile. Pures et dures, elles sont promptes à éliminer les « déviants » ; le conflit dans lequel elles sont engagées les pousse à renforcer leur unité politique et morale.

Beaucoup plus intéressant est un thème souvent développé par les anthropologues et les psychanalystes. Une société, confrontée à des expressions d'hostilité en son sein, est conduite à inventer des modes indirects d'expression de conflits latents. Elle[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.).

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Attraction-répulsion - crédits : Encyclopædia Universalis France

Attraction-répulsion

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Zone de conflit, zone d'échange

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