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CONFUCIUS & CONFUCIANISME

Du martyre au triomphe

On a tort en un sens ; car s'il ne se cacha point d'admirer la poigne du roi de Qin, et l'ordre que ce prince imposait à ses sujets, il était trop marqué d'esprit confucéen pour ne pas réprouver la tyrannie patente, et pour ne pas souffrir de constater que la terreur fascine ceux-là mêmes qu'elle opprime. Il vécut assez vieux pour ne pas douter du succès de Qin, mais fut assez heureux pour ne pas assister aux épreuves que ses disciples Li Si et Han Feizi firent subir aux lettrés confucéens.

Le confucianisme sur la sellette

Comme on a pu déduire de Hegel un hégélianisme de droite (disons Croce) et un de gauche (disons Marx), rien n'était plus facile que de tirer de Xunzi des conclusions cyniques. Puisque l'homme n'est point naturellement bon, puisque son propre serait plutôt la méchanceté, puisque le Ciel n'est qu'un mot, il n'appartient ni au Ciel ni à l'individu de fixer les normes de la vertu. D'ailleurs, la vertu, pour quoi faire ? Le seul fondement de la morale, c'est la crainte de la police et du magistrat. La seule fin de la société, l'ordre et le rendement. Le prince légifère. Les fonctionnaires fixent les châtiments. Au lieu de gouverner par les rites, les bienséances, on dominera par les codes et la peur.

Lorsque le roi de Qin eut enfin unifié sous son autorité les dernières principautés qui lui résistaient encore, le ministre Li Si choisit d'appliquer à l'ensemble de la Chine les méthodes qui avaient rendu invincible le Qin. On convoqua donc les fonctionnaires, pour leur demander un avis sur cette révolution autoritaire et centralisatrice. Un confucéen crut de son devoir de critiquer les projets de Qin Shi Huangdi, et de se référer aux fameux anciens rois, à Yao et à Shun. C'est qu'il savait par cœur le chapitre du Li ji sur la conduite du lettré : « Si tyrannique soit le gouvernement, le lettré ne change point ses principes » ; encore : « ils pourront bien lui faire perdre la vie : ils ne pourront lui arracher sa volonté. » Li Si répliqua très durement, accusa ces « prétentieux » confucéens d'attaquer en toute occasion un gouvernement qu'ils devraient admirer, et auquel ils se bornent à opposer les mœurs, les manières des anciens : « Ô mon maître, prenez garde, ces gens-là sont plus à craindre que vous ne le pensez. » Il les accuse donc de complot contre Qin Shi Huangdi, d'exciter le peuple à « une révolte ouverte », de se constituer en caste, ou classe « spéciale », tandis que ce ne sont que pédants inutiles à toute société bien gérée. Le ministre conseilla donc au prince de jeter au feu « tous les écrits pernicieux du confucianisme, et de ne sauver que les ouvrages traitant de médecine et d'agriculture, de divination, et ceux des ouvrages d'histoire qui célèbrent la glorieuse dynastie de Qin. »

L'empereur approuva ; mais on découvrit bientôt que les confucéens connaissaient par cœur les « classiques », et pouvaient les transmettre de la bouche à l'oreille. À quoi bon détruire tous les écrits (sauf un exemplaire de chaque titre, qui figurait dans la bibliothèque personnelle du souverain) ? Il fallait faire disparaître ces bibliothèques circulantes, les lettrés confucéens. On assure que Li Si fit arrêter en masse les confucéens et que quatre cent soixante d'entre eux furent enterrés vifs. Les tyrans n'ont guère d'imagination : ils tuent qui pense. Mais l'Empire cette fois dura trop peu pour obtenir les résultats qu'il se proposait. Après onze ans de règne, Qin Shi Huangdi mourut ; son débile successeur disparut au bout de quatre ans. En 206 avant notre ère, un homme du peuple, Liu Bang, dirigea une rébellion qui mit fin à la dynastie de Qin et fonda la sienne, celle des Han, non sans avoir pillé la capitale de Qin Shi Huangdi et mis le feu à cette bibliothèque impériale où l'on avait[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

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Confucius - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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