DE AUXILIIS CONGRÉGATIONS
La première des Congregationes de auxiliis divinae gratiae, c'est-à-dire des assemblées de théologiens catholiques réunies à propos du molinisme, s'est tenue à Rome à titre de commission de censure chargée de se prononcer sur le livre de Molina, Concordia liberi arbitrii cum gratiae donis (1588), mis en cause en juin 1597 par le dominicain D. Báñez. Elle trancha, après deux sessions et de nombreuses réunions, dans le sens de la condamnation du molinisme, l'accusant d'être contraire à l'enseignement de saint Augustin et de saint Thomas sur la grâce et la prédestination. Mais diverses interventions empêchèrent le pape Clément VIII de prononcer la censure ; il décida de substituer à la procédure juridique des rencontres de théologiens, limitées à l'examen d'un point essentiel : le fondement de la grâce efficace. L'efficacité de cette grâce est-elle due à la prédétermination divine sur la volonté humaine (thèse des Dominicains) ou à la conformité du décret divin à la prescience que Dieu a des libres décisions humaines (thèse des Jésuites) ? Les rencontres ne purent que mettre en évidence l'irréductibilité des points de vue entre les deux écoles.
Conscient de la gravité du débat, Clément VIII ne voulut pas condamner le molinisme sans avoir dirigé lui-même l'examen ; de 1602 à 1605, il présida les soixante-huit congrégations qu'il réunit sur ce sujet. L'intervention du cardinal français Du Perron retarda la décision, qui n'était pas encore prise à la mort du pape (5 mars 1605). Cette première phase de discussions avait conduit les Jésuites à abandonner quelques-unes des thèses de Molina et, surtout, à montrer la conformité des autres avec la doctrine de saint Augustin. Les Dominicains avaient fait porter leur effort sur la science moyenne de Dieu, clef de voûte du système de Molina. Sous Paul V (1605-1606), les Jésuites réussirent à centrer de nouveau le débat sur la prédétermination physique, qui est la clef du système de Báñez. Dans leur majorité, les congrégations penchaient en faveur des Dominicains, mais Paul V jugea plus sage de ne pas prendre de définition doctrinale sur ces questions ; il rappela seulement la doctrine tridentine selon laquelle une motion divine est nécessaire au libre arbitre, sans préciser davantage la nature de cette motion. Il interdit aux adversaires d'évoquer jamais ces questions disputées ; la défense pontificale dut être rappelée à plusieurs reprises aux théologiens : en vain, d'ailleurs, car la querelle qui allait commencer autour de l'Augustinus de Jansénius (1640) apparaît bien comme la continuation du débat de auxiliis. Celui-ci devait donc diviser pendant longtemps les théologiens catholiques, mais il ne fut pas inutile. Face à la Réforme, le Concile de Trente avait su garder, sur les problèmes de la grâce, une certaine prudence en matière de définition. Mais bien des questions que les réformateurs avaient posées restaient sans réponse. Le débat autour de la Concordia eut le mérite de poser en milieu catholique ces mêmes questions redoutables et, en particulier, le problème central de l'infaillibilité de la grâce efficace. Les théologiens jésuites soutinrent que la raison de son infaillibilité était la science moyenne de Dieu (raison extrinsèque) et non pas une puissance interne de la grâce pour conformer les décisions humaines aux décrets divins (raison intrinsèque). Sur ce point fondamental, le débat resta ouvert dans la théologie catholique. Reconnaître cette possibilité est un des acquis importants du « non-lieu » qui a clos les congrégations.
Il est, en effet, possible de considérer que les deux points de vue, apparemment inconciliables, ne sont que deux énoncés superficiels d'une vérité profonde : le libre concours de la grâce divine et de la liberté humaine,[...]
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Écrit par
- Jean-Robert ARMOGATHE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études, sciences religieuses
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