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CONNAISSANCE DE L'EST, Paul Claudel Fiche de lecture

L'« inspecteur de la création »

« Malgré mon aversion pour les descriptions, j'ai écrit ou je suis en train d'écrire une série de notes intitulées Pagodes, Jardins, Ville la nuit... » (lettre à Mallarmé de 1895) ; « J'ai envoyé à la Revue de Paris, qui en a déjà publié quelques-unes, des „images de la Chine“. C'est de la littérature descriptive, piètre genre ! » (lettre à Mallarmé de 1896). Ce souci de se démarquer d'un genre – les « impressions de voyage », à la mode en cette fin de siècle où l'exotisme fait fureur –, qu'il admet pratiquer sans l'estimer, signifie-t-il une simple dénégation de la part de Claudel ? On serait tenté de le croire, à lire les premiers poèmes, pour la plupart descriptifs, et qui semblent bien sacrifier à l'exotisme tant décrié. Plus tard, dans les Mémoires improvisés, l'écrivain lèvera cette apparente contradiction : « Il ne s'agit pas de description pure et simple, il s'agit d'une connaissance, il s'agit d'une compréhension. » Formule qui, comme le titre, use de l'un des concepts clés autour duquel s'articule l'Art poétique claudélien, celui de « co-naissance » : « au monde et de soi-même ». Car conformément à ce « besoin et délicieux plaisir de s'exprimer avec exactitude et précision » qu'il admire chez Mallarmé, c'est en « inspecteur de la création, vérificateur de la chose présente » que Claudel engage ici une quête poétique qui est avant tout d'ordre intellectuel : il s'agit moins de décrire les choses que de comprendre leur sens, de saisir leur essence. Ce déchiffrement suppose une fusion du Moi avec le monde qu'il contemple, fusion qui n'a rien d'un abandon, mais qui exprime tout au contraire une tension extrême de la volonté et de l'intelligence.

Ainsi, sur des modes divers (descriptions, récits, études documentaires, réflexions théoriques...), dans des styles d'une grande variété (tantôt froid, précis et maîtrisé jusqu'au didactisme, tantôt éclaté, baroque, lyrique, voire épique), à travers le traitement de thèmes récurrents (les saisons, la lumière, les éléments...), c'est donc bien vers un double mouvement, d'élargissement – de l'objet au cosmos – et d'intériorisation – du monde extérieur au Moi –, que la découverte de l'univers géographique et mental de l'Extrême-Orient, avec son réseau de signes, de symboles et d'analogies, entraîne le poète : « La journée est plus dure que l'enfer. Au dehors, un soleil qui assomme, et dévorant toute ombre une splendeur aveuglante, si fixe qu'elle paraît solide. Je perçois dans ce qui m'entoure moins d'immobilité que de stupeur, l'arrêt dans le coup. Car la Terre durant ces quatre lunes a parachevé sa génération ; il est temps que l'Époux la tue, et, dévoilant les feux dont il brûle, la condamne d'un inexorable baiser. [...] Soleil, redouble tes flammes, ce n'est point assez que de brûler, consume : ma douleur serait de ne point souffrir assez. Que rien d'impur ne soit soustrait à la fournaise et d'aveugle au supplice de la lumière ! » (Ardeur).

— Guy BELZANE

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  • CLAUDEL PAUL (1868-1955)

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    ...: la cristallisation d'éléments en suspension dans l'air, la synthèse puissante de matériaux hétérogènes portés par lui à leur température de fusion. Symbolisme et réalisme paraissaient, avant lui, deux langages inconciliables : ils ne feront qu'un dans Connaissance de l'Est, où l'acuité...