CONNAISSEURS
Connaisseurs, historiens et critiques
Hogarth dénonçait les procédés des faux connaisseurs. Leur prolifération au xixe siècle va susciter une évolution dans l'attitude des experts authentiques. « La connoisseurship en peinture est devenue une technique sérieuse et, soumettant ses verdicts à des règles intelligibles, elle s'additionne volontiers de quelque philosophie » (E. Wind). Plus que l'intuition, que la réaction spontanée, ce sont les critères codifiés qui deviennent les bases de la connaissance, en réponse aux critiques dénonçant le côté « inspiré », oraculeux, des jugements sans appel émis par les autorités plus ou moins reconnues. Cette mutation, qui devait entraîner la disparition du connaisseur à l'état pur, est l'œuvre de l'un des plus remarquables d'entre eux, l'Italien Giovanni Morelli (1816-1891). Pour démystifier le rôle de l'arbitre suprême, prononçant avec assurance des attributions devant lesquelles il faut s'incliner, Morelli met au point et publie sous forme de dialogues une méthode très précise fondant les attributions sur l'analyse des détails, des accessoires – le dessin d'une main, d'une oreille – qui semblent secondaires et pour cela échappent à l'attention des faussaires ou des imitateurs, mais révèlent directement l'« écriture » du maître. De là, pour Morelli et pour beaucoup de ceux qui l'ont suivi, l'importance attachée au dessin, à l'esquisse, à la « touche authentique », avec cette conséquence que le connaisseur, « cultivant le « fragment pur », transforme l'art tout entier en musique de chambre à usage intime ».
Au xixe siècle, morelliens ou non, les connaisseurs sont de plus en plus influencés, souvent inconsciemment, par les méthodes, les philosophies, les théories esthétiques dont la diffusion s'accélère grâce à l'édition et au développement de la critique d'art. À côté des collectionneurs et des historiens d'art, il y a, certes, d'authentiques connaisseurs. C'est le cas, pour ne citer qu'eux, des frères Goncourt. Peut-être parce qu'ils s'attachèrent précisément au xviiie siècle, qui fut, par excellence, le siècle des connaisseurs, ils ont été en mesure d'acquérir cette familiarité, cette compréhension profonde de l'œuvre d'art. Il y en eut d'autres, mais la spécialisation obligatoire, la vulgarisation de la culture en même temps que son cloisonnement, les surenchères de l'érudition leur ont laissé peu de place.
Aujourd'hui, l'abolition des distances, la perfection des moyens de reproduction, la prolifération des publications sur l'art mettent à la portée de chacun tous les éléments d'une culture visuelle dont un Mariette n'aurait pu imaginer l'étendue. Mais cette exploration extensive peut devenir aussi un obstacle à la véritable connaissance, à la réflexion attentive, en même temps que les procédés scientifiques, aux verdicts inéluctables, risquent de faire paraître inutile et vain le libre exercice du « coup d'œil », de l'analyse personnelle. Pourtant, dans ce foisonnement désordonné, et au-delà du seuil où la science peut se prononcer, le dernier mot revient au connaisseur, qui sait garder son autonomie de pensée, assimiler et dominer les apports de la technique, sans se laisser asservir ni influencer par eux.
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Écrit par
- Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE : critique d'art
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