CONQUISTADORES
Mobiles d'une conquête
Un des traits les plus constants des conquistadores a été en effet leur obstination à relancer la chance. Bernal Diaz s'est battu au Mexique pendant près de dix ans : expéditions d'Hernández de Córdoba, de Grijalva et de Cortés, siège de Mexico, campagnes de Coatzacoalcos, du Chiapas et du Honduras. Les capitaines eux-mêmes, pourtant mieux récompensés que ce simple soldat, n'agissent pas autrement, Cortés tout le premier. Pedro de Alvarado prend part à toutes les campagnes du Mexique, puis conquiert pour son compte le Guatemala ; il conduit ensuite une escadre au Pérou et va disputer à Almagro et Belalcázar la conquête de Quito. Il entreprend enfin d'explorer les côtes américaines du Pacifique et projette d'atteindre les Moluques, avant de se faire tuer en réprimant la révolte des Indiens de Nouvelle-Galice (1541). Autre incorrigible coureur d'aventures : Alvar Núñez Cabeza de Vaca : parti à la conquête de la Floride (1528), avec Narváez, il fut l'un des quatre survivants (sur 400 hommes !) de cette désastreuse expédition. Après avoir vécu huit ans parmi les tribus indiennes de la Prairie et traversé d'est en ouest tout le continent nord-américain, il réussit à atteindre, sur le Pacifique, la ville espagnole de Culiacan... et n'eut de cesse qu'il repartît pour le Río de la Plata et le Paraguay. Même persévérance chez Diego de Ordás, ce compagnon de Cortés, qui abandonna ses riches encomiendas du Mexique pour aller perdre vie et fortune à la conquête de l'Orénoque, ou chez Francisco de Orellana, l'un des conquérants du Pérou, qui descendit l'Amazone des Andes à la mer et revint mourir sur ce fleuve en prétendant occuper le pays.
Cette instabilité est quasi générale chez les conquérants de la première génération, qui semblent avoir emprunté à Charles Quint le « plus ultra » de sa devise. On ne compte plus les villes qui se dépeuplent à peine fondées, parce que leurs vecinos cèdent à l'attrait d'une nouvelle aventure : la découverte du Pérou faillit vider le Mexique et le Darién de leur population espagnole.
Que poursuivaient ainsi les conquérants au prix de tant de peines ? La richesse sans doute : les trésors obtenus par Cortés et Pizarro ne pouvaient qu'enflammer les convoitises. Mais autant que par la fièvre de l'or, les conquérants ont été poussés par l'ambition d'accéder à une vie aristocratique : vivre noblement en « seigneurs » de vassaux indiens, après avoir gagné de l'honneur (honra) à la pointe de l'épée et obtenu du roi des armoiries rappelant leurs services, semble avoir été une de leurs constantes aspirations, avec la conscience de participer à une entreprise extraordinaire, qui égale et surpasse les exploits des héros de l'Antiquité ou des chevaliers de la Reconquête.
D'autres facteurs ont joué aussi : le moindre n'est pas la puissance d'attraction de certains mythes, popularisés par les romans de chevalerie. Ainsi celui de la fontaine de Jouvence, que l'on cherchait en Floride, ou celui des Amazones, que l'on situait dans l'île de Californie, près du Paradis terrestre. La toponymie américaine en porte encore la marque. La conquête finit par créer elle-même ses propres mirages, comme le mythe de l'Eldorado, obstinément poursuivi par tant d'expéditions dans les jungles de l'Orénoque, ou celui des sept cités de Cibola, qui entraîna Coronado jusqu'au cœur de la grande Prairie américaine. L'illusion a ainsi été un des mobiles de la marche en avant. Les esprits les plus rassis y ont parfois cédé : c'est pour le compte du vice-roi Antonio de Mendoza que Coronado part à la recherche de Cibola et, vers 1560 encore, le licencié Zorita, déjà âgé et à moitié infirme, rêve d'entreprendre la conquête du Nouveau-Mexique.[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre BERTHE : maître assistant à l'École pratique des hautes études, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales
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