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CONSENSUS

« Comment se forme un concours unanime parmi des individus séparés ? » Envisagée de cette façon, la notion de consensus implique l'analyse des mécanismes et des procédures qui font naître la décision collective.

Mais, derrière cette scène apparente – scène politique où s'instruit et se construit la volonté commune –, existe un autre ordre, plus profond, dissimulé aux agents sociaux et qui fait qu'on parlera de consensus même lorsqu'il y aura désaccords et conflits au sein d'une société. « Comment une collection d'individus peut-elle constituer une société ? » Telle est l'autre question à laquelle voulaient répondre les théoriciens du droit naturel lorsqu'ils supposaient un acte primordial – acte mythique, sans existence historique et toujours « déjà là » – par lequel un peuple se fait peuple.

La notion de consensus permet d'englober ces deux niveaux d'interrogation. Elle renvoie en premier lieu à ce lien social implicite qui explique que, par-delà ce qui les oppose, les membres d'une communauté se reconnaissent une affiliation et une fraternité culturelle qui font d'eux des « concitoyens ». Elle renvoie ensuite aux formes des débats et aux règles des affrontements légitimes qui organisent la vie politique. On peut, dès lors, définir le consensus. C'est cet accord général minimal qui fait qu'une société est une société, que les individus qui en sont membres reconnaissent les mêmes valeurs, se conforment aux mêmes normes et s'interdisent mutuellement l'usage privé de la violence dans la solution de leurs conflits.

Le consensus tend ainsi à produire l'ordre où ne serait que le désordre et à instituer la paix où n'existerait que la guerre de tous contre tous. Certes, le degré de consensus peut varier d'une société à une autre, mais il ne saurait y avoir de société sans consensus. Aussi bien l'interrogation majeure doit-elle porter sur la façon dont un type donné de sociabilité s'articule à certaines modalités de la vie politique.

Consensus ou lutte de classes ?

Confrontée dès sa naissance à ces sociétés nouvelles nées de la Révolution française et de l'industrialisation, la sociologie a si nettement centré sa réflexion sur le consensus que l'on pourrait, comme le suggère Raymond Aron, classer les sociologues en fonction du sens qu'ils donnent à la fois au consensus et aux luttes sociales.

Ainsi Auguste Comte comme Émile Durkheim pensent que toute société est, par nature, fondée sur le consensus, expression et condition de l'unité de la conscience collective. Pour eux, les conflits ne sont pas le ressort caché de l'histoire ; ils sont le symptôme d'un dérèglement qui naît de la différenciation extrême des fonctions et des personnes. Si bien que les notions de consensus et d' anomie sont antagonistes comme le sont celles du normal et du pathologique.

Apparemment situé aux antipodes de cette analyse, le marxisme rapporte à la lutte des classes l'évolution de toutes les sociétés. Mais, à y regarder de plus près, la chose est moins simple. Les sociétés de lutte de classes sont des sociétés « aliénées », divisées en quelque sorte avec elles-mêmes ; et si on ne peut les définir comme pathologiques, puisqu'un déterminisme historique rigoureux préside à leur succession, elles n'en sont pas moins des sociétés malheureuses. La société future sera donc celle de la réconciliation de l'homme avec lui-même, communauté transparente où l'un de l'individu répond à l'un du Tout dans un consensus absolu.

On peut même aller plus loin et voir dans la façon dont Marx « démystifie » le faux consensus qu'impose l'idéologie des classes dominantes un hommage du vice à la vertu, c'est-à-dire la reconnaissance de la [...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne

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