CONSIDÉRATIONS POLITIQUES SUR LES COUPS D'ÉTAT, Gabriel Naudé Fiche de lecture
Le théâtre du pouvoir
Naudé, depuis Rome, engage ses lecteurs à épier le lieu où le pouvoir exerce avec violence et ruse ses coups d'État, selon l'exercice d'une prudence politique qui n'est ni religieuse, ni seulement technique. Car le coup d'État, explique-t-il, est un acte d'exception, dont l'effet seul vient, dans l'après-coup et dans l'aporie de toute causalité rationnelle, fonder une politique qui transgresse les lois et les vertueuses maximes d'État. Selon ce G.N.P. à peine caché, personne avant lui n'a jamais défini ni ainsi révélé le cœur du secret d'État : le « scandale » des Considérations est bien de manifester le fonctionnement d'une politique qui doit rester mystérieuse. Crimes, massacres (comme la Saint-Barthélemy) peuvent-ils être expliqués, légitimés, alors que leurs secrets les préservent et que leurs « sacrifices » sont « plus cachés que ceux de la déesse Eleusine » ? Naudé fait preuve d'une jubilation suspecte dans ce plaisir de la profanation. Mais celle-ci devient l'instrument d'une politique libertine, dès lors que l'auteur ne se contente pas de parler en initié mais qu'il montre le mystère très humain du pouvoir, dénué de toute transcendance, théâtre baroque et parodique du miracle divin.
Comment dès lors produire des Considérations, c'est-à-dire une théorie de ce qui est voué à l'opacité, si l'entreprise de théorisation en détruit justement le secret, et donc l'efficacité ? En le mimant, en publiant ses postures et en faisant du lecteur le complice déniaisé – selon un mot qui est cher à l'auteur – d'une politique violente dont la justification ne tient, justement, qu'à sa réussite. On a dit de Naudé, qu'il était un penseur cynique, un machiavélien, un apologète de la raison d'État dont il défendait sinon l'exercice, du moins l'efficacité pratique. Les plus récents travaux le concernant montrent qu'il n'en est rien, et qu'il invite plutôt son lecteur à regarder de loin et de haut, comme lui-même, le théâtre des princes, pour se saisir du savoir ainsi divulgué, profiter de ses techniques et se protéger de sa violence. Près de vingt ans plus tard, en 1657, et dans le même sens, les Discours sceptiques de Samuel Sorbière fourniront à leur tour leur contribution à cette politique libertine de dévoilement.
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
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