CONSPIRATIONNISME
Une idéologie politique
Pour les acteurs sociaux et politiques qui y recourent, le complotisme est un outil qui leur permet d’entrer ou d’exister dans les champs politique et médiatique, et de tenter d’y imposer leurs idées. Ainsi, contrairement aux simples rumeurs qui sont des fabrications collectives du corps social, dont on ne trouve jamais la source originelle, le discours complotiste prend la forme de livres, de vidéos, de pages Internet ou de colloques, dont les auteurs sont identifiables et parfois célèbres. Voici quelques exemples parmi les plus marquants du conspirationnisme.
Les Protocoles des Sages de Sion
Un des faux complotistes les plus connus est le texte des Protocoles des Sages de Sion, qui « dévoile » un plan de domination mondiale élaborée par une secte juive (les Sages de Sion), et l’existence d’un complot visant à fomenter des révolutions dans tous les pays, d’en massacrer éventuellement les populations, pour y prendre le pouvoir sous la forme d’une monarchie juive mondiale. Il a été forgé en 1903 par la police secrète russe, l’Okhrana, et rédigé par un certain Matveï Golovinski qui a plagié en partie un pamphlet hostile à Napoléon III de 1864, écrit par Maurice Joly, Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu. L’objectif des commanditaires était double : nourrir l’imaginaire antijuif en Russie et délégitimer les politiques de libéralisation du tsar, en insinuant qu’elles étaient conformes à un plan judéo-maçonnique secret visant à destituer Nicolas II et à mettre un roi juif à sa place. En 1922, le ministre allemand des Affaires étrangères, Walter Rathenau, fut assassiné par deux nationalistes convaincus qu’il était un des Sages de Sion. Dénoncé dès 1921 comme une mystification littéraire, l’ouvrage connut une diffusion massive dans toute l’Europe et devint le bréviaire d’Hitler et des dignitaires nazis. Il circule toujours dans les pays arabo-musulmans, et a fait l’objet en 2002 d’une adaptation en série télévisée, Le Cavalier sans monture, en Égypte.
Les Illuminés de Bavière ou Illuminati
En 1776, le franc-maçon et professeur de droit canon, Adam Weishaupt, fonde l’ordre des Illuminés de Bavière avec l’ambition rationaliste de créer une organisation séculière capable de libérer le monde des religions et des autorités politiques. L’ordre compte environ 2 500 membres au début des années 1780, avant d’être dissous en 1787. Mais sa postérité est considérable et on l’accuse de continuer à influencer en cachette nombre d’événements contemporains. Le mythe des Illuminati, en lien avec le complot juif dénoncé par les Protocoles, a été alimenté par deux auteures anglaises, au tournant des xixe et xxe siècles, Nesta Webster et Lady Queenborough (Edith Starr Miller), qui affirmèrent que les juifs utilisaient les pangermanistes et les Illuminati non juifs pour édifier leur empire sur les ruines de la civilisation chrétienne. L’activiste et évangéliste américain Gerald Winrod a consacré un ouvrage à Adam Weishaupt en 1935, où il pose que lutter contre les juifs revient à lutter à la fois contre le communisme et l’illuminisme. L’officier de la marine royale canadienne et ancien membre des services de renseignement, William Guy Carr, remet les Illuminati au goût du jour dans un livre à succès, Pawns in the game, publié en 1958. Depuis cette époque, les Illuminati siègent en bonne place dans la culture populaire, dans un certain rap engagé notamment, comme figures à abattre et symboles du « nouvel ordre mondial » voulu par l’oligarchie américaine et ses alliés israéliens. En 2007, le rappeur de Rockin’ Squat, avec son titre « Illuminazi 666 », invite à se référer nommément aux thèses de Jordan Maxwell, proche de David Icke, qui dénonce la domination du monde par des extraterrestres reptiliens, et Anthony Hilder, documentariste connu de la sphère complotiste. [...]
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Écrit par
- Emmanuel TAÏEB : professeur agrégé des Universités
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Médias