CONSPIRATIONNISME
Dimension politique et outils de diffusion
La dimension politique du conspirationnisme est centrale. Dans les années 1960, l’un des pionniers de la recherche sur le complotisme aux États-Unis, Richard Hofstadter, avait précisément corrélé l’imaginaire du complot à l’orientation politique, notamment à l’extrême droite, dans l’hostilité à l’égard du gouvernement fédéral, dans le suprématisme blanc, et plus généralement dans un sentiment de persécution et un rapport haineux au monde politique. Le discours complotiste est en effet une vision sociétale commune aux partis politiques minoritaires ou radicaux, dont la rhétorique oppose une classe politique délégitimée et un « establishment » indigne de confiance au « peuple » trompé qui devrait retrouver toute sa puissance. Leurs sympathisants sont donc plus enclins que ceux des partis de gouvernement à y adhérer, dans le sillage de postures autoritaires et manichéennes. Depuis les années 2000, diverses études de psychologie sociale et politique ont aussi montré que la méfiance – voire la peur – ressentie face aux institutions, mais aussi envers d’autres groupes évoluant dans un environnement proche (voisins, minorités…), caractérise les individus qui adhèrent aux thèses du complot. C’est ensuite la sensibilité politique individuelle qui déterminera le choix de la vision complotiste jugée la plus crédible. Sous cet aspect, le complotisme ne relève pas d’une quelconque irrationalité analytique mais bien d’une explication politique pratique du monde social.
Reste que le complotisme traverse tout le corps social et touche tous les groupes sociaux. Il est devenu une culture, ou une « subculture », à part entière, parfois assez lucrative pour ceux qui monnaient l’écriture et la diffusion de récits complotistes. Il est présent dans la fiction (de la série X-Files au Da Vinci Code de Dan Brown), et surtout il a fait d’Internet son territoire de prédilection. La gratuité de l’outil et sa force de diffusion permettent aux militants complotistes de sortir de leur ancienne marginalité pour investir un espace public et toucher ainsi massivement les internautes. Nombre de ces activistes se sont proclamés experts de leur sujet de prédilection pour exposer largement leur interprétation hyper-sceptique. Ils sont aidés par les effets propres aux nouvelles technologies et aux algorithmes. En effet, sur les pages des moteurs de recherche, les résultats des requêtes ne sont pas affichés en raison d’une quelconque pertinence scientifique mais en fonction d’un indice de popularité des sites. De véritables usines à fausses nouvelles, qui tirent leur rémunération du nombre de clics et de la publicité, inondent la toile de récits conspirationnistes et d’explications spectaculaires ou fantastiques du monde social aux titres racoleurs. C’est ce qui fait que les pages complotistes apparaissent le plus souvent en tête des résultats proposés, produisant un « biais de confirmation » : la croyance préalable ou l’interrogation légitime d’un internaute sur un complot possible sera confortée par la profusion de sites allant dans le sens du complotisme, tandis que les sites réellement scientifiques, historiques ou anticomplotistes seront, eux, mal classés, et ne pourront lever le doute.
Les algorithmes propres des réseaux sociaux contribuent par ailleurs à des phénomènes d’entre-soi intellectuel, car les publications jugées contraires aux opinions de l’utilisateur finissent par ne plus lui être présentées, tandis que celles qui le confortent lui sont relayées. Avec pour effet un enfermement idéologique et la création de « bulles cognitives », où l’absence de pluralisme interdit tout débat contradictoire et renforce les croyances préalables. Sur Internet, les plus actifs des complotistes se sont organisés en véritables agences de presse « alternatives », qui[...]
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Écrit par
- Emmanuel TAÏEB : professeur agrégé des Universités
Classification
Médias