BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957)
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Brancusi fut l’un des sculpteurs les plus inventifs de son temps et s’impose désormais comme le fondateur de la sculpture occidentale contemporaine, par ses œuvres plastiques autant que par son cheminement personnel, la multiplicité de ses médiums et la radicalité de son engagement artistique et humain.
« N’écrire qu’un seul poème, toujours le même, ambition qui faisait l’angoisse de Mallarmé et sa tentation, voici que Brancusi le réalise, il ne touche à l’absolu qu’à travers une série infinie d’imperfections légitimes ; il a hâte de n’en pas finir », écrivait dès 1929 le poète et critique roumain Benjamin Fondane (1898-1944), qui soulignait la tension entre le fini et l’infini structurant la quête de l’artiste.
Roumain naturalisé français en 1952, porteur d’une ambition collective qui ne prit jamais la forme d’un engagement politique, Brancusi ne fut pas le « paysan du Danube » ou le sculpteur solitaire qu’on croit souvent reconnaître dans ses autoportraits photographiques. Artiste sans galerie, il sut transformer son atelier de l’impasse Ronsin à Montparnasse – reconstitué devant le Centre Georges-Pompidou (1977 et Renzo Piano, 1997) – en un décor mythique, mettant en scène son art de l’installation avant que le concept soit inventé. Et, bien qu’il ait semblé peu marqué par les violences du xxe siècle, notamment les deux guerres mondiales, Brancusi prophétisait dès 1934 un « happy end » historique en 2054 – « indication approximative » – pour l’ensemble des nations, dans un scénario de film, Cent Vingt Années à venir. Après bien des cataclysmes rapidement énumérés, il annonçait l’avènement d’un monde « unifié », « différent ce qu’il est aujourd’hui », dominé par Brahma, qui apaiserait la rage destructrice de Shiva. Avec de nombreux textes et documents publiés depuis 2003 se révèle dans ses sculptures et dans ses photographies l’image complexe du créateur d’un univers moderne et méditatif, aux lisières de l’abstraction. Au-delà de la lecture formaliste à laquelle l’artiste minimaliste Carl Andre (1935-2024) a réduit son art dans les années 1980 – « Tout ce que j’ai fait, c’est mettre la Colonne sans fin de Brancusi à même le sol » –, Brancusi est le créateur d’une véritable mythologie personnelle au service – dans sa matérialité même – d’une compréhension spirituelle de l’invention sculpturale.
Craiova-Bucarest-Paris
Né le 19 février 1876 à Pestisani (province de Gorj), en Roumanie, dans un milieu rural modeste, Brancusi s’initie à l’art d’abord à l’école des Arts et Métiers de Craiova, puis à l’école des Beaux-Arts de Bucarest de 1898 à 1902. Il y apprend à modeler d’après l’antique et y réalise ses premières œuvres : un buste, Vitellius (1899, Muzeul de Arta, Craiova), et une tête d’après le groupe sculpté du Laocoon, qui lui valent des récompenses. Suivant une formation classique, il maîtrise la représentation de l’anatomie humaine (L’Écorché, 1901, Muzeul de Arta,Craiova) et sculpte quelques portraits. En mai 1904, Brancusi décide de se rendre à Paris. Ce voyage, commencé à pied à travers la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne (Munich), puis la Suisse, le conduit à l’école des Beaux-Arts de Paris où il s’inscrit dans l’atelier d’Antonin Mercié (1845-1916), un artiste académique. Il y fréquente la communauté roumaine, qui le soutient. Fort de ses premiers plâtres, des visages très expressifs qui sont exposés au Salon d’automne en 1906, Brancusi est remarqué par Rodin et rejoint son atelier, qu’il quitte en 1907, avec cette phrase devenue célèbre, « Rien ne pousse à l’ombre des grands arbres » – qui ne sera attestée qu’en 1952 dans les écrits du sculpteur. Rompant avec ses premiers modelages, il taille en 1907 une Tête de jeune fille (connue uniquement par[...]
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Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
Classification
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