BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957)
Article modifié le
Des objets, des sculptures, des symboles
En 1912, visitant en compagnie de Fernand Léger le Salon de la locomotion aérienne, Brancusi s’entend apostropher par Duchamp : « C’est fini la peinture. Qui fera mieux que cette hélice ? Dis, tu peux faire ça ? » Dès lors, la rivalité de la sculpture avec la perfection formelle des objets industriels s’impose comme un thème récurrent dans toute sa carrière, en raison de l’absence de limite claire, dans son atelier et surtout dans ses photographies, entre les meubles en bois qu’il a personnellement taillés, les socles de ses œuvres et les sculptures mêmes.
En 1927-1928, un grand procès oppose Brancusi aux douanes américaines qui prétendent taxer ses créations comme de simples objets manufacturés, sans les faire bénéficier de l’exemption dont bénéficient les œuvres d’art. La question posée lors de ce procès, notamment à propos de L’Oiseaudans l’espace (bronze poli, 1925, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie), est de déterminer s’il s’agit bien d’une sculpture, œuvre de l’esprit, ou d’un objet de métal. Brancusi gagne le procès, et affirme ainsi le droit de l’artiste à la liberté stylistique qui lui permet d’être figuratif tout en s’éloignant de la ressemblance mimétique traditionnelle.
Une autre controverse, portant aussi sur une question de figuration, est cruciale dans la carrière de Brancusi. Princesse X (1916, bronze poli, Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou) fait scandale au Salon des indépendants de Paris en 1920 et doit être retirée de l’exposition. En effet, cette figure féminine paraît trop proche de la forme d’un phallus. Jouant sur le thème de l’androgynie, le sculpteur tire également parti du sens de la stylisation radicale qui marque ses portraits féminins. Des versions successives de La Muse endormie,entre 1908 et 1912, à l’épuration progressive du visage de Mlle Pogany, de1913 à 1933, s’élabore une idéalisation de plus en plus marquée(La Négresse blanche, 1923, marbre, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie). Brancusi porte ainsi à son extrême l’art du symbole, figure polysémique propre à de multiples interprétations.
La seule commande publique que reçoit le sculpteur est celle d’un monument aux morts de la Première Guerre mondiale, qui lui donne justement l’occasion de transformer l’évocation historique de la guerre en un symbole universel de la victoire de l’Amour. C’est cet ensemble de Targu Jiu, en 1935, qui lui permet de retourner pour la première fois dans sa Roumanie natale et d’approfondir à l’échelle monumentale sa quête plastique. Au sein de l’agglomération urbaine de Targu Jiu, Brancusi compose ainsi une œuvre constituée de trois reprises de motifs qu’il travaille depuis plus de vingt ans, en les développant dans des dimensions inédites et en les ordonnant sur un axe de plus d’un kilomètre. À La Colonne sans fin – environ 30 mètres de hauteur – succèdent La Porte du baiser – arc detriomphe réinventé – et, enfin, la Table du silence, point d’orgue de la composition. L’espace entre les œuvres les monumentalise encore davantage en faisant de la marche de l’une à l’autre une expérience physique qui se déploie dans le temps, autour du Baiser, symbole d’amour et de vie. Art de l’espace, la sculpture contemporaine se révèle aussi un art du temps.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
Classification
Autres références
-
ANDRE CARL (1935-2024)
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Béatrice PARENT
- 770 mots
Né le 16 septembre 1935 à Quincy (Massachusetts), le sculpteur Carl Andre étudie l’art de 1951 à 1953 à la Phillips Academy d’Andover. Après un bref passage au Kenyon College de Gambier (Ohio), en 1954, il voyage en Angleterre et en France. En 1957, il s’installe à New York, où il rencontre ...
-
ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Sculpture
- Écrit par Paul-Louis RINUY
- 2 362 mots
- 4 médias
...été installés dans les jardins de Westminster devant le Parlement dès 1911, à un moment où aucune de ses œuvres ne trouve place dans l'espace parisien. Brancusi, figure centrale dans l'invention de la sculpture contemporaine, même s'il ne réside pas dans la capitale anglaise, y expose aussi : il... -
CUBISME
- Écrit par Georges T. NOSZLOPY et Paul-Louis RINUY
- 8 450 mots
Laprésence de Constantin Brancusi (1876-1957) dans cette liste nous étonne aujourd'hui, car il existe une réelle différence entre la simplification des volumes caractéristique de son art et la déconstruction analytique de l'espace cubiste. Si Le Baiser (pierre, 1907-1908, Muzeul de Arta,... -
DESCRIPTION (esthétique)
- Écrit par Christine PELTRE
- 1 138 mots
L'histoire de l'art ne peut se construire qu'à partir de l'examen attentif de l'apparence, aussi la description est-elle l'un de ses outils d'investigation fondamentaux. Des travaux, comme ceux de Philippe Hamon (La Description littéraire : anthologie de textes...