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BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957)

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Extension du domaine de la sculpture

Dans cet art combinatoire que devient la pratique même de la sculpture, la taille de la pierre ou du bois, souvent essentielle pour créer la forme première de l’œuvre, ne constitue pas l’étape finale. Le temps du polissage se révèle essentiel en conférant à l’œuvre un aspect brillant (Léda, 1926, bronze poli, Musée national d’art moderne- Centre Georges-Pompidou) ou une fluidité qui concourt, dans le Poisson (1934, marbre veiné, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie), au sens et à l’effet même de la sculpture. Brancusi travaille patiemment et valorise ce poli à l’extrême, tout en déclarant avec malice : « Le poli c’est une nécessité absolue que demandent des formes relativement absolues de certaines matières. Il n’est pas obligatoire, même il est très nuisible pour ceux qui font du bifteck. »

C’est que, dans la sculpture polie se reflète l’espace environnant, rendant parfois la forme insaisissable par la violence même de son éclat. Ces effets de lumière donnent à leur tour naissance à des photographies, que Brancusi, même s’il a travaillé avec Edward Steichen ou Man Ray, prend presque exclusivement lui-même. Magnifiant les jeux de lumière et d’ombre, saisissant les effets de matière avec soin, il joue aussi des cadrages pour suggérer des atmosphères complexes ou capturer l’espace qui entoure les œuvres. Sa pratique de la photographie, si elle s’origine dans l’ambition de Rodin lui-même qui déléguait ce travail aux grands photographes de son temps, en diffère du tout au tout : Brancusi préfère les défauts techniques de ses clichés à la qualité du travail de photographes de métier et fait de ces vues d’atelier, où il apparaît souvent, un autoportrait indirect, voire un manifeste de la sculpture comme un art de la lumière. Puis, fasciné par le rythme de la musique comme par le mouvement des images, il passe de la photographie au cinéma, dans lequel il s’essaie à maintes reprises, soit pour garder trace de l’élancement de La Colonne sans fin de Targu Jiu, soit pour capturer le mouvement circulaire réel de Léda, mis au point avec un moteur de gramophone parfois caché sous le socle.

« À quoi bon écrire sur mes sculptures ? Il suffit de les photographier », dira Brancusi. Pourtant, il pratique lui aussi l’écriture, en roumain et en français voire en un mélange des deux langues, pour défendre ses idées essentielles ou exprimer dans certains poèmes ses émotions et sa nostalgie récurrente. L’extension du domaine de la sculpture s’accomplit dans son œuvre, en de très nombreuses directions, préfigurant d’une certaine manière le champ élargi de la sculpture que théorise Rosalind Krauss en 1979 (« Sculpture in the expanded field »,essai traduit en français en 1993).

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Écrit par

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