CONSTITUTION
La constitution comme mécanisme
À cette conception d'une constitution comme ordre de valeurs on pourrait en opposer une autre où la constitution s'apparente à un pur mécanisme, à un ensemble de lois naturelles propres au monde politique et pensées sur le modèle des lois naturelles du monde physique. Ici s'impose la figure de Montesquieu, dont Ernst Cassirer a si bien montré ce qu'il devait à la physique newtonienne (tout comme Thomas Paine ou James Madison) ce que traduit son concept de loi (Esprit des lois, liv. I, chap. 3). Lorsqu'il recherche les moyens de garantir la liberté de chacun, Montesquieu n'invoque pas un ordre du monde auquel il conviendrait de se référer. Il n'imagine pas non plus une constitution qui commanderait au législateur de faire des lois justes ou obligerait le pouvoir exécutif à s'y conformer. Mais, de même que le concept de loi est chez lui pensé comme un « rapport nécessaire qui dérive de la nature des choses » que l'on tire de l'observation des faits, la constitution consiste également en un rapport immanent aux phénomènes. Ces phénomènes, ici, ce sont les trois formes de gouvernement (république, monarchie, despotisme). Chacune est dotée d'une nature (« sa structure particulière ») et d'un principe (« les passions humaines qui le font mouvoir »). Une fois identifiés la nature et le principe d'un gouvernement, on peut connaître les lois qui en dérivent. Dans la mesure où ces rapports sont nécessaires, on peut aussi, à l'inverse, remonter de certaines lois à la forme de gouvernement qui les a produites. C'est justement cette démarche que suit Montesquieu à propos de la Constitution d'Angleterre (Esprit des Lois, liv. XI, chap. 5 et 6). Ainsi, quand elle est bien faite, une constitution, qui se donne la liberté pour objet, produit nécessairement la liberté politique. Elle est à proprement parler inviolable. La métaphore mécaniciste est même parfois explicite : « Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir ; donner, pour ainsi dire, un lest à l'une, pour la mettre en état de résister à une autre ; c'est un chef-d'œuvre de législation, que le hasard fait rarement, et que rarement on laisse faire à la prudence » (Esprit des Lois, liv. V, chap. 14). L'ordre ainsi conçu n'est qu'un fait, un état censé demeurer stable des rapports de pouvoirs et ces derniers sont eux-mêmes considérés comme reflétant une structure de la société. Il y aurait certes quelque anachronisme à voir en Montesquieu – et dans cette conception de la constitution comme mécanisme – les prémices d'une conception de la constitution que développeront les études de sociologie politique inspirées par Max Weber car on ne peut nier l'intention normative de Montesquieu lorsqu'il décrit cette constitution d'Angleterre. Une fois débarrassée du présupposé axiologique qui la fonde, cette conception peut cependant servir de modèle épistémologique à une analyse des dispositions constitutionnelles entendues comme faits et non comme normes. Ainsi, par exemple, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ») peut-il être interprété non comme une prescription – pour le moins vague – relative à ce que devrait être une constitution mais comme une proposition analytique relative à la définition même du mot « constitution », ce dernier ne désignant rien d'autre, selon Michel Troper, que cet ordre social particulier dans lequel nul ne peut concentrer tous les pouvoirs en ses mains ni être privé d'exercer ses droits naturels.
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Écrit par
- Pierre BRUNET : professeur de droit, université Paris-X-Nanterre, directeur du Centre de théorie du droit
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