CONSTITUTION
Constitution et pouvoir constituant
Si la constitution est une norme, qui en est à l'origine et en vertu de quelle autorité ceux qui ont rédigé la Constitution l'ont imposée aux autres ? Délicate, la question a suscité et suscite encore diverses réponses.
Nombre d'entre elles sont d'inspiration jusnaturaliste. Elles tendent à identifier une source de la constitution qui, dans le même temps, puisse lui servir de fondement. Elles consistent donc en la double affirmation qu'il existe un pouvoir constituant originaire antérieur à la Constitution – selon les variantes : Dieu, la Nature, la Nation, le peuple, la force – et que l'existence même de ce pouvoir constituant fonde la Constitution. Ces thèses procèdent elles-mêmes d'une confusion, parfois volontaire, entre les faits historiques et les normes juridiques.
À l'opposé, les réponses d'inspiration positiviste tendent à dissoudre cette hypothèse d'un pouvoir constituant originaire qui, tel le baron de Münchhausen se sortant d'un marécage en se tirant par les cheveux, aurait le pouvoir de créer la constitution en vertu d'un droit lui-même préexistant. Les plus radicales n'admettent, au titre de pouvoir constituant, que le pouvoir de révision de la constitution positive. Aussi paradoxal que cela paraisse, le « pouvoir constituant » est donc déjà un pouvoir constitué, c'est-à-dire, un pouvoir établi par la Constitution et que l'on exerce en vertu de la Constitution. C'est pourquoi René Carré de Malberg expliquera que « le droit constitutionnel présuppose toujours une constitution en vigueur » et que par « droit constitutionnel il faut entendre, non pas un droit qui aurait pour objet de constituer l'État, mais un droit qui n'existe que dans l'État déjà constitué et pourvu d'organes réguliers ».
Le propos n'est pas sans évoquer le concept, si mal nommé et si controversé, de « norme fondamentale », proposé par Hans Kelsen. En effet, dès lors que la constitution est pensée comme la norme supérieure qui clôt le système juridique, la question se pose de sa validité juridique. Rejetant les théories du droit naturel, Kelsen explique que cette validité ne peut qu'être hypothétique : certes, aucune norme positive ne prescrit l'obéissance à la Constitution, mais les juristes la tiennent pour juridiquement obligatoire parce qu'ils font l'hypothèse d'une « norme fondamentale » qui commande d'obéir à la Constitution.
Enfin, une question d'importance est de savoir si la constitution oblige ou non le pouvoir de révision à des formes spécifiques. On oppose alors les constitutions souples et celles rigides. Bien évidemment, la rigidité ou la souplesse d'une constitution est affaire de degré. Mais la rigidité est à son comble lorsque la juridiction constitutionnelle, quand elle existe, se reconnaît compétente pour contrôler les lois portant révision de la Constitution. Afin de justifier ce contrôle au regard de normes juridiques, les juges constitutionnels sont alors contraints d'imaginer une hiérarchie de valeur entre les normes constitutionnelles, voire inventent des normes ou des principes supra-constitutionnels. Le paradoxe est que, sous couvert de protéger la constitution positive et de préserver, par exemple, la volonté initiale du peuple exprimée dans cette Constitution, ils se transforment eux-mêmes en pouvoir constituant sinon supra-constituant et figent définitivement la souveraineté populaire.
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Écrit par
- Pierre BRUNET : professeur de droit, université Paris-X-Nanterre, directeur du Centre de théorie du droit
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