CONSTITUTION
L'interprétation constitutionnelle
L'autre question difficile que soulève le concept de constitution est celui de l'interprétation constitutionnelle.
L'une des conceptions les plus répandues est que l'interprétation de la Constitution requiert des techniques interprétatives spécifiques. Parmi les facteurs susceptibles d'expliquer la généralisation de cette conception de l'interprétation constitutionnelle, le développement des juridictions constitutionnelles chargées de contrôler la conformité de la loi parlementaire à la Constitution n'est pas le moindre. Ce contrôle peut être exercé par toute juridiction en premier ressort puis par une Cour suprême en dernier ressort selon le modèle nord-américain, ou au contraire être réservé à une juridiction spécialement nommée à cet effet, selon le modèle proposé par Kelsen pour la Cour autrichienne en 1920.
Cette thèse se fonde sur trois arguments. D'abord, la Constitution contient non seulement des règles (des procédures rigides et formelles) mais aussi des principes en vertu desquels les individus disposent de certains droits. Contrairement aux règles, ces principes n'admettent pas une application littérale mais ils doivent être interprétés, ce qui suppose donc que l'on ait recours à des méthodes spécifiques. Ensuite, les antinomies entre les principes constitutionnels ne peuvent être résolues à l'aide des critères classiques (hiérarchique, chronologique et matériel). En effet, par définition, ces principes sont à la fois de même rang hiérarchique, contemporains les uns des autres et de même portée juridique. Ils doivent donc faire l'objet d'une pondération ou d'un balancement. Enfin, selon Dworkin ou Zagrebelsky, le juge constitutionnel se situe à mi-chemin entre le législateur et le juge ordinaire : il est libre comme peut l'être le législateur, mais cette liberté est encadrée par des exigences prudentielles que le juge ordinaire ne connaît pas car ce dernier est, quant à lui, tenu de se conformer au modèle de la subsomption applicable à toute règle.
Aucun de ces arguments ne résiste vraiment à une analyse approfondie. D'abord, parce que l'interprétation littérale d'un texte juridique est un mythe ; ensuite, parce que tous les juges sont conduits à mettre en balance des principes ; enfin, parce que cette vision du juge constitutionnel procède d'une conception absolutiste de la constitution entendue comme norme juridique et éthique ultime qui n'est elle-même qu'une pétition de principe. Compte tenu de la structure des ordres juridiques nationaux contemporains, il devient difficile de considérer que les juges constitutionnels se situent au sommet de la hiérarchie des normes. Sans doute cette conception est-elle le dernier avatar politique du processus de sécularisation des sociétés modernes, qui les conduit à recréer du sacré à mesure que s'éloigne l'image d'un créateur.
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Écrit par
- Pierre BRUNET : professeur de droit, université Paris-X-Nanterre, directeur du Centre de théorie du droit
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Média
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