CONSTRUCTIVISME, mathématique
Constructivisme, logique et faisabilité
Compte tenu de cet argument, on peut se demander si les remaniements que le constructivisme requiert dans l'édifice logico-mathématique classique ne sont pas de trop grande ampleur pour que la doctrine puisse être considérée autrement que comme une fantaisie philosophique aux incidences scientifiques trop radicales pour être raisonnables. L'un des enseignements du dernier quart du xxe siècle dans le domaine de la recherche fondationnelle est qu'il n'en est rien. D'une part, la réforme constructiviste de la logique a montré sa grande fécondité dans le domaine de l'informatique théorique, d'autre part, les recherches menées depuis les années 1980 ont montré qu'une très large part des mathématiques « utiles » pouvait être construite sur de telles bases.
Au demeurant, la perspective la plus généralement adoptée par le constructivisme contemporain consiste à rechercher un « point d'équilibre » entre l'austérité des principes philosophiquement admissibles de définition et de preuve et l'étendue des mathématiques capables d'être édifiées sur la base de ces principes. En d'autres termes, on cherche à réduire une partie (la plus grande possible, et en tout cas significative pour la compréhension du monde physique) des mathématiques classiques à un « noyau » susceptible d'être constructivement acceptable. Ce programme, activement poursuivi depuis les années 1980, a notamment donné naissance à la tradition des « reverse mathematics » de Harvey Friedman, où l'on cherche quelle base constructive (la plus restreinte possible) permettrait d'engendrer un ensemble donné de théorèmes mathématiques. Les résultats obtenus dans cette voie, que l'on pourrait résumer en disant que les mathématiques applicables « de notre temps » peuvent être développées dans des extensions conservatives de l'arithmétique finitiste que visait David Hilbert (1862-1943), fournissent indiscutablement un argument de poids au réductionnisme constructiviste.
Un autre chantier reste ouvert au constructivisme, qui s'est jusqu'ici presque toujours défini en référence à des constructions ou à des calculs réalisables « en principe », l'important étant l'existence d'une « méthode » permettant d'engendrer l'objet, et non pas la possibilité pratique, pour une créature en chair et en os, de conduire jusqu'à son terme l'application de cette méthode. La définition rigoureuse d'un constructivisme faisant droit à un concept plus strict et plus « réaliste » des constructions mathématiques, en bref d'une théorie des opérations faisables, reste encore largement à produire.
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Écrit par
- Jacques-Paul DUBUCS : chargé de recherche au C.N.R.S.
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