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CONTES CRUELS, Philippe Auguste Villiers de L'Isle-Adam Fiche de lecture

« Il faut affoler le lecteur »

Si l'atmosphère des Contes cruels, sous l'influence de Poe et, dans une moindre mesure, de Nerval et de Nodier, témoigne bien d'une fascination contemporaine pour l'étrange et le macabre, ce sont surtout le style et le ton adoptés par l'auteur qui ont contribué à l'installer dans la nébuleuse « décadentiste » des années 1880, en compagnie d'Élémir Bourges, d'Octave Mirbeau, et surtout de Huysmans. En effet, l'angoisse ne « prend » jamais vraiment, constamment détournée par une ironie plus ou moins perceptible mais toujours présente, qui ne laisse pas davantage de place au sentimentalisme, et va jusqu'à tourner en dérision l'écriture elle-même. Souvent grinçant, le rire naît d'une chute sarcastique (« Virginie et Paul »), d'une morale inversée (« Les Demoiselles de Bienfilâtre »), d'une antiphrase cynique : « Il est impossible de devenir une canaille sincère ; il faut le don ! il faut... l'onction ! c'est de la naissance. Il ne faut pas qu'un article infâme sente le haut-le-cœur, mais la sincérité, et, surtout, l'inconscience ; sinon vous serez antipathique : on vous devinera. Le mieux est de vous résigner. Toutefois, si vous n'êtes pas un génie (comme je l'espère sans en être sûr), votre cas n'est pas désespéré. En ne travaillant pas, vous arriverez peut-être » (« Deux Augures »). Dans sa haine farouche du bourgeois (« Au lieu d'aimer ce qui est beau, bien fait, élégant, spirituel ou poétique, il préfère tout ce qui est laid, commun, prosaïque et stupide »), Villiers adopte la distance aristocratique du dandy, qui tient le monde en respect, revendique la maîtrise de soi et se refuse à l'illusion des bons sentiments.

Dès lors, l'emphase, le lyrisme, les effets les plus recherchés, donnent constamment l'impression d'être « joués ». La sophistication elle-même, « signature » de l'écriture décadente, se met ironiquement en scène, comme en témoignent l'usage répétitif et signifiant du paratexte (la dédicace et l'épigraphe étant généralement contredits par l'entame du texte, comme dans « Virginie et Paul »), l'emploi de l'italique pour marquer la distance (ainsi des derniers mots d'« Antonie » : « par esprit de fidélité »), ou encore le détournement des citations (la Bible dans « Les Demoiselles de Bienfilâtre »). Cette prolifération ludique d'allusions et de clins d'œil plus ou moins perceptibles au public de l'époque, a fortiori à celui d'aujourd'hui, fait sans doute le sel des textes de Villiers ; encore faut-il, pour le goûter, se faire ce lecteur complice, lui-même savant et dandy, qu'appelait de ses vœux, sans se dissimuler sa rareté, « l'exorciste du réel et le portier de l'idéal » (Remy de Gourmont).

— Guy BELZANE

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