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CONTES DE FÉES, Madame d'Aulnoy Fiche de lecture

Le conte, aux sources de la société

Qu'on se méfie donc de ce monde où tout, jusqu'au style, est apparemment charmant, et où tout, jusqu'aux mots, est interprétable en termes bien moins mièvres qu'on ne pourrait le croire. Le caractère ludique de ces contes implique que le jeu porte sur les vérités en apparence les plus sûres. C'est là que le conte révèle le libertinage philosophique et sexuel, qu'il brouille les identités et déstabilise le monde. Lorsque, dans « Belle Belle » ou « le Chevalier Fortuné », une jeune fille déguisée en homme séduit un prince en même temps que la sœur de celui-ci, on se prend à penser que les hommes et les femmes ne naissent pas masculins ou féminins, mais qu'ils deviennent hommes et femmes. Ovide, dans ses Métamorphoses, Benserade, dans sa comédie Iphis et Iante, les histoires des gazettes, celles du Mercure galant en tête, ne disent pas autre chose.

Faut-il en conclure que Mme d'Aulnoy, femme et écrivain, transpose dans ses contes une revendication de libération féminine ? En déplaçant les identités, parce qu'elle se donne la liberté de le faire, elle produit assurément du doute, de la surprise, et en profite pour imaginer l'impossible ou l'interdit – que les guerriers tombent amoureux des biches (« La Biche au bois »), que les frères et sœurs s'aiment d'amour (« La Princesse Belle Étoile et le Prince Chéri ») –, à la manière des fables de la mythologie, et avec les mêmes conséquences. Le merveilleux des fées et le merveilleux mythologique mènent ainsi à l'évocation des transgressions radicales, comme à la mise en scène des dispositifs anthropologiques les plus fondamentaux. En empruntant ses histoires au folklore européen, à la mythologie antique, aux récits de fées médiévaux, aux « histoires » italiennes et françaises et aux fables, Mme d'Aulnoy joue avec les références. Mais surtout, elle les entraîne dans le monde qu'elle connaît, celui des salons modernes parisiens, entiché de merveilleux à condition qu'il soit capable de déclencher, dans la conversation, des émotions et des questions.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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