CONTES DE L'ENFANCE ET DU FOYER, Jakob et Wilhelm Grimm Fiche de lecture
Une célébration de la narration
Les contes de Grimm se déroulent dans un cadre historique et social apparemment invariable : un univers villageois peuplé de paysans, d'artisans et de figures royales. Cet espace ne connaît pas d'intermédiaire entre la maisonnette des gens simples, proches de la nature, et le château du souverain. Il ignore la grande ville et la bourgeoisie, dévalorise les échanges pécuniaires. Non loin se trouve la forêt habitée par des animaux tantôt féroces, tantôt bienveillants envers ceux qui savent leur parler. C'est là également que vivent les sorcières. Il faut noter à ce propos l'absence de fées dans les contes des Grimm. Car, si l'on met à part les jeunes filles, rares sont les femmes qui jouent un rôle positif. En revanche, les marâtres cruelles, les belles-mères jalouses, les vieilles femmes malfaisantes abondent.
À l'intérieur de ce cadre et de cette constellation de figures relativement stables, le recueil des Grimm se caractérise par sa variété. Le lecteur voit se déployer une multiplicité de motifs et de caractères, même si les situations narratives et les intrigues présentent, là encore, des effets d'échos et de récurrence, constitutifs du genre : interdits transgressés, réparation des torts ainsi causés, multiplication des embûches, échanges symboliques, etc. L'impression de variété tient en partie à la brièveté des récits : en moyenne, les contes des Grimm n'occupent guère que quatre pages. La suppression de toute « ornementation » superflue – on notera, par exemple, la rareté des passages descriptifs – et l'enchaînement rapide des actions font que les contes apparaissent avant tout comme une célébration de la narration. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire par exemple les premières phrases de Jean de fer : « Il était une fois un roi qui avait une grande forêt près de son château où courait du gibier de toutes espèces. Un jour, il envoya un chasseur tirer un chevreuil, mais il ne revint pas. „Il lui est peut-être arrivé malheur“, dit le roi, et, le lendemain, il envoya deux autres chasseurs le chercher, mais ils ne revinrent pas non plus. Alors, le troisième jour, il fit venir tous ses chasseurs et leur dit : „Battez toute la forêt et n'abandonnez pas avant de les avoir retrouvés tous les trois“. Mais ceux-là non plus ne revinrent pas, et aucun chien de la meute qu'ils avaient emmenée avec eux ne réapparut. »
Les contes célèbrent également la sagesse et la vertu, ridiculisent la crédulité (Jean la Chance), fustigent la vanité (Le Roi Barbabec). La plupart du temps, les vertus sont cachées. C'est que les apparences sont trompeuses, et les travestissements fréquents : les princes sont changés en animaux (Le Roi grenouille), ou vivent cachés parmi les serviteurs (Jean de fer). Même abaissés, ils restent princes. Leur générosité, leur fidélité, leur courage laissent transparaître l'éminence de leur naissance. Les héros des contes se distinguent par leur constance : seule une patience obstinée permet de ne pas transgresser les interdits, de triompher de la multiplicité des obstacles et, surtout, de la durée de l'adversité. Le temps est en effet l'un des adversaires les plus redoutables des protagonistes : dans Les Six Cygnes, une jeune fille doit coudre sans parler et sans rire, pendant six ans, six petites chemises faites de fleurs étoilées afin de pouvoir libérer ses six frères changés en cygnes par leur belle-mère.
On le voit : l'intérêt des Contes des Grimm tient autant à l'élégance concise et à la simplicité de leur diction qu'à la diversité des lectures qu'ils suscitent. Cela explique également la réception extrêmement vivante de ce livre, en Allemagne évidemment, mais aussi et surtout dans les pays anglo-saxons, où se publient sur lui un nombre considérable d'études de haute[...]
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Écrit par
- Christian HELMREICH : agrégé d'allemand, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-VIII
Classification
Média
Autres références
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GRIMM JAKOB (1785-1863) et WILHELM (1786-1859)
- Écrit par Michel-François DEMET
- 1 730 mots
- 5 médias
Le succès des Contes d'enfants et du foyer (Kinder- und Hausmärchen, 1812-1815) fut grand auprès du public. Quelques écrivains furent plus réticents, dont Brentano qui vit là l'occasion de relancer la vieille querelle sur la « poésie de nature » (inférieure à ses yeux) et la « poésie d'art »...