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CONTINGENCE

La contingence dans la pensée scientifique

L'idée de contingence prend-elle rang au milieu des concepts scientifiques ? À coup sûr, elle appartient, depuis l'Antiquité, à la logique, où elle qualifie le contraire du nécessaire. Joue-t-elle aussi un rôle dans les sciences de la nature et dans les sciences sociales ?

La contingence en logique et dans les sciences de la nature

IEn logique, contingent s'oppose à nécessaire. Est nécessaire une proposition dont le contraire implique contradiction. Une vérité contingente dénote donc un état de fait qui pourrait se passer autrement, qui n'est pas marqué par la nécessité. Du sens logique on glisse au sens réel, quand on s'interroge non plus sur la connexion des propositions au regard de la nécessité, mais sur l'enchaînement des événements à travers le temps : le futur est-il entièrement déterminé ou y a-t-il un futur contingent ?

Il n'est pas besoin d'un long examen pour s'apercevoir que si, dans les sciences de la nature, l'idée de contingence est présente, le mot n'est guère employé. La raison en est simple : l'idée de hasard, surtout sous la forme de probabilité mathématique, suffit à rendre compte des limites de la prédiction. Même si la domestication mathématique du hasard ne s'est pas faite en un jour, il est à la fois commode et juste de dater cette naissance du milieu du xviie siècle. En 1654, Pascal, s'adressant à la « très célèbre Académie parisienne de mathématiques », déclare que, jusque-là, dans les jeux de hasard, le résultat des parties était attribué à juste titre à « la contingence fortuite plutôt qu'à la nécessité naturelle » (fortuitae contingentiae potius quam naturali necessitati), mais que ce qui flottait incertain se trouve par lui réduit au calcul. Aussi cette nouvelle science, « conciliant les choses qui semblaient contraires, et recevant son nom des deux, revendique ce nom stupéfiant de Géométrie du hasard (aleae Geometria) ». Les lettres entre Pascal et Fermat montrent la façon dont la connaissance du futur contingent peut relever non plus de la simple supputation, mais du calcul. Alors que le sens commun nous incite à imaginer d'abord le futur immédiat et à nous éloigner de plus en plus du présent, Pascal établit que, pour maîtriser mathématiquement l'aléatoire, il faut partir d'un ensemble d'éventualités qui constituent les fins possibles d'une partie et, de là, remonter jusqu'à l'état présent.

Quand, au xixe siècle, les lois statistiques ont commencé à prendre de l'importance en physique, il n'a pas été nécessaire de raviver la vieille idée de contingence, parce que la mécanique statistique disposait, avec le calcul des probabilités, des instruments analytiques suffisants pour aborder l'étude des phénomènes dont le cours n'est pas prévisible selon un modèle d'explication déterministe. Les querelles qui ont divisé les savants, et plus encore les philosophes, à propos de l'indéterminisme en physique auraient pu ressusciter la notion de contingence. Cela ne s'est pas produit, parce que l'examen attentif de l'idée de déterminisme mit en évidence qu'il s'agissait d'un postulat, même si l'on avait fini par le prendre pour un concept scientifique. Il apparut que ce postulat n'était justifié que sous certaines conditions, dans un système physique supposé clos. Poincaré, Hadamard et Duhem, à la fin du xixe siècle, attirèrent l'attention sur des systèmes mécaniques où de très faibles différences dans l'état initial conduisent à des évolutions très différentes, ce qui est à l'origine de la théorie du chaos.

L'idée même d'explication scientifique se transformait : le modèle causal et déterministe cessait de paraître comme le plus parfait, alors[...]

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