CONTRAT SOCIAL
De l'Antiquité aux monarchomaques
À partir du ve siècle avant J.-C., la philosophie grecque est marquée par l'opposition entre la nature physique qui est immuable et les mœurs des hommes qui sont changeantes. D'où la distinction entre nature et conventions. Le point de départ de l'application de cette distinction au domaine de la politique est le débat sur l'origine divine ou artificielle de l'idée de justice. Certains sophistes tentèrent d'imaginer ce que seraient les relations humaines en l'absence de toute convention, c'est-à-dire dans l'état de nature. Cet état de nature est le plus souvent conçu comme un état de guerre perpétuelle. Pour y mettre fin, les hommes concluent un pacte sur le fondement duquel des lois sont édictées qui distinguent le bien du mal et donnent ainsi naissance à l'idée de justice. Cette théorie – subversive dans la mesure où elle nie le caractère divin de l'idée de justice – est exprimée et combattue dans le IIe livre de La Républiquede Platon. Aristote la rejette à son tour et sa réfutation est particulièrement importante car elle constituera le thème dominant de la critique des théories individualistes tout au long de leur histoire : l'homme, affirme Aristote, est par nature un animal politique ; peu importe dès lors que la société soit née d'un groupement d'individus, car ce groupement et la vie en société qui en résulte n'ont rien d'arbitraire ni de conventionnel, mais sont conformes à la nature.
Il faut attendre le Moyen Âge pour assister à la véritable naissance de la théorie du contrat, qui apparaît d'abord sous la forme du contrat de gouvernement. Un certain nombre de contrats de gouvernement furent conclus à partir du ve siècle dans les royaumes germaniques entre rois et sujets et leur origine doit être recherchée, semble-t-il, à la fois dans la tradition romaine du consentement populaire, et dans l'Ancien Testament où les théologiens trouvaient de nombreux exemples de contrats, soit entre Dieu et le peuple juif, soit entre rois et sujets, comme celui conclu par le roi David. Mais, dans la théorie politique, le contrat n'apparaît qu'à partir du xie siècle, en relation avec la querelle de la papauté et de l'Empire. La revendication par la papauté du droit de déposer les rois est fondée sur l'idée qu'un roi injuste et tyrannique viole le pacte qui l'unit au peuple et que celui-ci peut, en conséquence, être délié par le pape de son devoir d'obéissance. Certains auteurs, comme Manegold de Lautenbach, vont plus loin en affirmant que c'est la violation même du pacte par le roi qui délie les sujets et que l'acte du pape n'est destiné qu'à rendre effectif ce qui était déjà impliqué par la tyrannie du prince. Mais il ne s'agit toujours que de contrat de gouvernement. En ce qui concerne le problème de la justification et du fondement de l'État, l'influence d'Aristote resta longtemps trop forte pour permettre la genèse d'une véritable théorie contractuelle. Á la fin du Moyen Âge, quelques théoriciens font, dans leurs réflexions sur le pouvoir, une place de plus en plus grande à la notion de consentement, voire de souveraineté populaire, mais l'élément volontariste est encore absent : il fallait que se développât la doctrine de la monarchie absolue de droit divin pour que s'épanouisse en contrepoint la théorie du contrat.
Au cours des luttes religieuses de la Renaissance, la notion de contrat permit de fonder le droit de résistance. Il s'agit d'abord d'une doctrine protestante, puis les théoriciens catholiques l'adoptèrent quand il y eut des rois protestants. L'auteur du Vindiciae contra tyrannos (1579), la plus célèbre, sans doute, parmi les œuvres des monarchomaques, admet l'existence d'un[...]
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Écrit par
- Michel TROPER : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France
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