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CONTRAT

La réalité sociale

Le contrat peut-il être saisi directement, c'est-à-dire sans passer à travers le prisme déformant d'opinions préconçues ? Depuis Aristote, qui analysa (Éthique, livre V) le rôle de la monnaie comme substitut du besoin dans l'échange, jusqu'aux juristes italiens découvrant l'autonomie privée à l'œuvre dans la réalité sociale, en passant par le sociologue Max Weber, on a décrit dans les mêmes termes (à peu de chose près) les mêmes faits, sur divers sols, en divers temps ; et l'on peut retenir, comme la plus dense, la formule du grand jurisconsulte Domat : « La matière des conventions est la diversité infinie des manières dont les hommes règlent entre eux les communications et les commerces de leur industrie et de leur travail et de toutes choses, selon leurs besoins. » Il apparaît alors que cette fonction sociale du contrat s'accomplit sous trois formes, qui coexistent généralement, mais que l'on peut aussi voir se succéder dans une histoire universelle du contrat : le don, l'échange, l'association.

Le don

On qualifie de « gratuite » (ou « à titre gratuit ») l'opération par laquelle une seule partie consent un sacrifice, c'est-à-dire procure à l'autre un avantage, sans rien recevoir en retour. Plus spécialement, lorsque le sacrifice (ou l'avantage, selon le point de vue auquel on se place) s'analyse en un transfert de valeur d'un patrimoine à un autre, l'acte est une donation. Dans certains systèmes juridiques – notamment les droits de la common law–, la donation est opposée au contrat : il est alors de l'essence du contrat obligatoire qu'il comporte une contre-prestation ; la promesse gratuite est, par elle-même, sans efficacité juridique ; elle n'est pas un contrat. D'autres droits, ceux de la famille romano-germanique (parmi lesquels il faut inclure le droit soviétique) et le droit musulman, font au contraire de la donation une variété de contrat ; toutefois, ils la soumettent d'ordinaire à des règles spéciales, posant des exigences plus sévères pour sa formation et lui attribuant une grande fragilité. De toute façon, les promesses gratuites paraissent poser un problème autonome en raison de données psycho-sociologiques spécifiques.

Il est douteux qu'une intention libérale (animus donandi) entendue comme pure pensée de générosité et bienfaisance, volonté de préférer autrui à soi-même, soit de l'essence de l'acte gratuit – au sens juridique – et constitue un élément nécessaire de la donation. C'est néanmoins la présomption d'un tel esprit de désintéressement qui éveille la suspicion et suscite l'hostilité du droit à l'égard de l'attitude – altruiste, donc anormale – qui consiste à se dépouiller sans contrepartie. Mais il faut voir que cette analyse est le fruit de l'abstraction juridique, et qu'elle mutile la réalité sociale en privilégiant un de ses instants qu'elle détache artificiellement de la continuité vécue où il s'insère. Telle opération, en apparence gratuite si on l'envisage seule, n'est plus que le maillon d'une chaîne de dations, ou services, réciproques, rendus à charge de revanche ou en récompense de services, ou dations, antérieurs. La réintroduction du facteur temps donne à la générosité figure humaine en la découvrant intéressée.

Aussi bien les ethnologues ont-ils observé, dans des groupes sociaux variés, une forme particulière des relations économiques : l'économie d'oblation. Celle-ci se caractérise par la concession de sacrifices qui, du point de vue du droit, sont purement unilatéraux et gratuits, c'est-à-dire sans contrepartie juridiquement obligatoire. Mais ils sont octroyés, en manière de défi, pour asseoir un prestige qui appelle, en riposte, une munificence compensatrice[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de l'université de Madagascar

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