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CONTRE-CULTURE

Le refus

L'analyse précédente a le mérite de protéger contre l'illusion qui voit dans toute innovation une contestation. Elle ne rend pas compte de l'opposition aux normes, si évidente et même si spectaculaire dans tous les mouvements considérés ici.

La contre-culture est d'abord le fait des drop-out, de ceux qui rompent soit avec les études, soit avec les formes habituelles de la vie professionnelle. Et cet abandon est une protestation. Pas nécessairement une contestation, mais l'expression d'un manque et le désir d'échapper à une organisation sociale qui apparaît comme étouffante.

Des premiers beatniks au personnage de Easy Rider, un nouveau mythe de la route, du voyage, apparaît dans ce pays qui avait si longtemps vécu en repoussant ses frontières et qui se sent de plus en plus enfermé dans des limites non seulement géographiques mais surtout professionnelles et morales. Ce refus est le fait de jeunes gens de niveau social élevé : 55 à 70 p. 100 des beatniks ou des hippies viennent des classes moyenne et supérieure, de la bourgeoisie. Allen Ginsberg, l'auteur de Howl, qui eut tant d'influence, est le meilleur symbole de cette attitude, au moins pendant la première phase de sa vie. Jack Kerouac, de la même manière, écrivant d'un jet, sans se corriger et seulement en complétant le premier état de son texte, fut aussi un des modèles de la génération des beatniks. Plus nombreux, les hippies ont souvent été des jeunes gens rompant avec leur famille ou leur école, prenant la route, surtout en direction de la Californie. San Francisco, surtout le quartier de Haight-Ashbury, devint le centre principal du mouvement : des milliers de hippies s'y rassemblèrent, notamment à l'occasion du gigantesque love-in de 1967.

Mais assez vite ces groupes se dissolvent, chassés par la police, et se réfugient à la campagne pour devenir des communautés d'un style différent. Beaucoup de jeunes gens partent vers l'Orient, attirés par la drogue et parfois par une image très vague des philosophies orientales. De jeunes Européens, surtout du Nord, se mêlent aux Américains. Vers 1972, environ 1 500 jeunes Français se trouvaient ainsi en Inde. Si Katmandou est le lieu le plus fréquenté, Goa constitue aussi un centre important et, en Europe même, les Baléares, et surtout Ibiza et Formentera, sont des lieux de rassemblement. Cette marginalisation n'est pas seulement géographique. L'écrivain Ken Kesey et son groupe, les merry franksters, explorent, de 1964 à 1967, les techniques qui chassent les contrôles de la conscience et ouvrent la voie des paradis artificiels : hallucinogènes, danse et musique rock, jeux de lumière psychédéliques conduisent à la edge city, au « pays des limites ». Gary Snyder, Neal Cassady jouent le même rôle d'inspirateurs du mouvement hippy. Des beatniks aux hippies la dérive est plus totale. Les beatniks étaient souvent des artistes ou des écrivains cherchant un nouveau mode d'expression. Les hippies forment un mouvement plus nombreux. Et surtout ils entraînent des masses importantes, d'étudiants essentiellement. Autour de Telegraph Avenue, à côté de l'université de Californie à Berkeley, ou à l'est de Greenwich Village à New York se créent des collectivités très marginales, sans activité professionnelle régulière.

Des enquêtes récentes ont montré qu'environ 30 p. 100 des étudiants américains ne donnent aucun sens à leurs études, regrettent d'être dans un collège ou une université, ou voudraient s'en libérer.

Les drogues « dures », et surtout le L.S.D., dont le grand-prêtre fut Timothy Leary, sont la marque la plus visible de cette vie faite à la fois de chute et de refus. Si la philosophie de Leary, prêchée à son groupe de Milbrook dans l'État de New York et présentée en 1968 dans The Politics of Ecstasy[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.).

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Marcuse - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

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