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CONTRE-CULTURE

La culture parallèle

Le refus ne mène pas qu'à l'éclatement ou à la fuite. Il anime aussi des utopies ; il suscite la création de communautés et la recherche d'une philosophie nouvelle. À une société qui se définit par sa croissance, son mouvement, ses changements incessants s'oppose l'idée d'un retour à l'équilibre qui, d'abord purement volontaire, en appelle récemment aux exigences de l'écosystème.

L'équilibre est d'abord celui d'une communauté, définie par les échanges entre ses membres, libérée des contraintes sociales qui divisent et isolent. Communautés parfois insouciantes de leur subsistance et qui ne durent pas ; d'autres fois plus prudentes, mais qui choisissent des formes d'activité économique éloignées des contraintes de la vie industrielle. Les plus petites communautés peuvent être nommées des familles, et le mouvement hippy exalte le renouveau d'une famille large et de l'affection portée aux enfants. Toutes les relations sociales devront être des relations directes, interpersonnelles. Le thème de l'amour et de l'altruisme conduit à un mysticisme inspiré de l'Orient et dans lequel la recherche de l'expression et du contrôle de soi, la réunion harmonieuse de l'âme et du corps se réalisent. C'est Gary Snyder qui introduisit le zen sur la côte Pacifique, mais c'est D. T. Suzuki et surtout Alan Watts qui en furent les principaux interprètes. Ginsberg reçoit en 1954 une illumination. Partout, aux États-Unis et même en Europe, se multiplient les swamis, plus ou moins critiqués. Jack Kerouac, en publiant Les Clochards célestes, en 1958, devient lui aussi un fidèle du zen.

La société doit être conçue comme une communauté ; il faut, dit Kenneth Rexrote, en rechercher l'unité fondamentale. Et c'est à l'ésotérisme et à l'astrologie plus qu'à l'économie et aux sciences qu'on demande le chemin de cette unité.

Ces divagations n'ont pas une importance extrême, et peu nombreux sont ceux qui firent l'effort d'interpréter des traditions bouddhiques éloignées du champ d'expérience de l'Amérique du xxe siècle.

Beaucoup plus réelle est l'apparition, au-delà de communautés nombreuses bien que souvent éphémères, d'une culture underground qui possède ses moyens de diffusion, qui établit des liens entre ses lecteurs, qui les fait participer à des mouvements de pensée, à des formes d'art et aussi à des mouvements politiques.

Après Village Voice de New York, longtemps la seule importante, les principales publications underground furent le San Francisco Oracle, le Los Angeles Free Press, le East Village Other, et le Fifth Estate de Detroit. En France, en 1972, on comptait environ cent cinquante revues underground, la plupart éditées dans des lycées, des universités ou des usines. Quelques-unes, en particulier Actuel, qui s'est transformé depuis, l'éphémère Tout, ou encore Parapluie, Zinc, etc., ont réussi à atteindre un large public. La plupart de ces publications utilisent des couleurs dites psychédéliques, des mises en pages moins classiques, donnent beaucoup de place à la musique pop et aux messages personnels. Ce vaste réseau, complété par des films comme ceux de A. Warhol et par des scènes de théâtre « off off Broadway », peut mettre en mouvement des masses immenses de jeunes gens. Le grand rassemblement de Woodstock est resté le moment le plus symbolique de cette culture de la jeunesse, contestataire et novatrice, marginale et communautaire à la fois.

L'Europe à partir de 1964 a découvert le Living Theatre, porteur de ce pacifisme communautaire. Paradise Now est un titre de spectacle assez clair. Si les étudiants contestataires en France résistèrent à un angélisme qu'ils estimaient démobilisateur politiquement, le Living Theatre[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.).

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Média

Marcuse - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

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