CONTRE-POUVOIR
Histoire et fonctions
La notion de contre-pouvoir émerge alors sous sa forme « absolument moderne », celle d'une division des pouvoirs par leur spécialisation fonctionnelle (Weber, 1921). La théorie de la séparation des pouvoirs repose sur une assimilation, classique depuis Hobbes (1651), du pouvoir à la puissance. Il s'agit de protéger la liberté politique, comprise comme une garantie de sûreté individuelle. Les contre-pouvoirs trouvent donc une fonction de type préventif : ils marquent le cran d'arrêt qui prémunit les citoyens contre les excès du politique.
La validité de cette séparation sera ensuite ébranlée sur les deux plans de la théorie et de la pratique politiques. La concentration des charges exécutives et législatives, induite par le parlementarisme majoritaire, brise d'abord le cadre constitutionnaliste classique. Mais c'est surtout l'abolition de la légitimité monarchique par la légitimité démocratique qui rend superflue la fonction préventive du contre-pouvoir. Pourquoi diviser le pouvoir puisqu'il appartient au peuple qui est un ? La Révolution française parachèvera la dissolution monarchique des contre-pouvoirs traditionnels. Les « grands périls » (Alexis de Tocqueville, 1840) liés au jacobinisme démocratique rendront alors envisageable la création de contre-pouvoirs associatifs et locaux. Ils seraient érigés en rempart contre le despotisme d'État, et en sauvegarde des libertés individuelles. La question du contre-pouvoir prend donc un sens inédit. D'un côté, pouvoir et contre-pouvoir politiques se retrouvent articulés comme les deux faces d'une même réalité démocratique. Le contre-pouvoir devient l'autre du pouvoir, son alter ego : l'opposition politique est l'envers du pouvoir établi, car leur conflit est institutionnalisé. D'un autre côté, la société démocratique va permettre la multiplication d'une nouvelle forme de contre-pouvoirs, qui sera fonctionnellement liée au politique.
Il est ainsi possible d'isoler deux fonctions typiques. Lorsqu'il vise à rétablir ou à renforcer un équilibre social présenté comme rompu ou comme menacé par un pouvoir légitime, on dira que le contre-pouvoir répond à une fonction de complémentarité. Il se présente alors comme un partenaire économique ou comme un auxiliaire politique du pouvoir légitime. Lorsqu'il s'organise pour contrecarrer ou pour renverser un pouvoir légitime, on dira que le contre-pouvoir répond à une fonction de substitution. Il vise à s'abolir comme contre-pouvoir pour devenir lui-même le pouvoir légitime. L'ambiguïté ne vient pas seulement de ce que le contre-pouvoir se définit alors par ce qu'il exclut. Elle vient surtout de ce que les stratégies démocratiques de prise du pouvoir lui sont, soit interdites (contestation radicale de type anarchiste), soit problématiques (participation au pouvoir d'un parti révolutionnaire).
L'articulation fonctionnelle entre pouvoir et contre-pouvoir peut prendre des formes très différentes. Mais cette typologie suffit à rendre précaire l'opposition entre un pouvoir socialement conservateur et un contre-pouvoir socialement progressiste. Elle souligne surtout que le développement démocratique des contre-pouvoirs repose sur un développement de la conception fonctionnaliste du pouvoir légitime. Un contre-pouvoir est en effet susceptible d'émerger et d'être considéré comme légitime, là où un pouvoir n'est plus considéré comme fonctionnellement adéquat. L'affaire Dreyfus et la crise du Watergate illustrent bien cette articulation fonctionnelle. La presse s'est imposée comme un « quatrième pouvoir » lorsque l'État et le pouvoir judiciaire ont été perçus comme se détournant de la « vérité » et de la « justice ». Dans L'Aurore du 5 juin 1899, Zola[...]
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Écrit par
- Frédéric GONTHIER : enseignant-chercheur, enseignant à l'université de Paris-X-Nanterre, chercheur du C.E.P.E.C.S., université de Paris-V
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