CONTRE-RÉFORME
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La Réforme catholique
De 1520 au concile de Trente
Il est impropre et injuste de confondre Réforme catholique et Contre-Réforme. Celle-ci n'a constitué qu'un aspect, et non le plus intéressant, de l'histoire du catholicisme entre 1520 et 1789. Aussi convient-il de mettre en relief ses originalités et ses richesses, en évitant deux simplifications : dire que tout allait mal dans l'Église catholique avant le concile de Trente (1545-1563) ; croire à l'inverse que le concile fut immédiatement suivi d'un redressement spectaculaire.
Il est vrai que l'Église prétridentine méritait les sanglants reproches que lui adressèrent Hus, Savonarole, Érasme, Luther et Calvin. Depuis la fin du Grand Schisme les « abus » s'y aggravaient : cupidité des moines, cumul des bénéfices, commende, vie de plus en plus mondaine du haut clergé, train scandaleux de la cour romaine qualifiée par Laurent le Magnifique de « rendez-vous de tous les vices », surtout non-résidence de trop de curés de paroisses et ignorance de nombreux pasteurs. Pourtant, si l'on considère dans son ensemble la vie religieuse de l'Occident de la fin du xive siècle au début du xvie siècle, on constate que les églises se multiplient partout à un rythme rapide, qu'une religion plus personnelle se développe parmi les élites grâce à la devotio moderna, et qu'en milieu urbain s'épanouissent des formes nouvelles et populaires de piété. En même temps, de multiples réformes partielles s'opèrent dans les ordres religieux par le retour à une plus stricte discipline : chez les Dominicains, par la création au xve siècle de la congrégation dite de Hollande ; chez les Camaldules grâce à Paolo Giustiniani ; chez les Franciscains, où Matteo da Bascio, héros de la pauvreté, provoque la naissance en 1526 d'une nouvelle famille religieuse : celle des Capucins. Il est significatif que les deux ordres qui furent les plus actifs au temps de la Réforme catholique – Capucins et Jésuites – aient vu le jour avant le concile de Trente, la Compagnie de Jésus ayant été autorisée par Paul III en 1540 ; significatif aussi que François Xavier soit arrivé à Goa dès 1542. Au vrai, l'activité des missionnaires catholiques fut intense durant toute la première moitié du xvie siècle, notamment en Amérique centrale et au Mexique. Ils venaient essentiellement d'Espagne, pays d'une étonnante vitalité religieuse, où les souverains veillaient à la résidence des évêques et qui avait accompli sa propre réforme grâce au cardinal Cisneros († 1517). La solidité et la rigidité théologiques de l'Espagne allaient bientôt s'affirmer au concile de Trente. Mais elles ne doivent pas conduire à sous-estimer la piété allemande (attestée par de multiples témoignages), ni la fermentation religieuse italienne (Savonarole ne fut pas un isolé au temps et au pays de la Renaissance), ni le zèle de plusieurs évêques français tels que Poncher à Paris, François d'Estaing à Rodez, Briçonnet à Meaux. L'Église romaine, à l'époque de la Pré-Réforme, gardait donc d'importantes réserves de jeunesse et de vigueur. Mais, centralisée comme elle l'était déjà à cette époque, elle ne pouvait se régénérer dans son ensemble que si la tête se réformait. Ce fut l'objectif du concile de Trente.
Celui-ci forme comme un massif dans l'histoire religieuse de l'Occident. Il a séparé deux époques dont la seconde ne s'est terminée qu'avec le IIe concile du Vatican. Pourtant les pères du concile se réunirent en 1545 dans un climat de scepticisme. Ils ne cherchèrent pas sérieusement à dialoguer avec les réformés et conservèrent jusqu'au bout une mentalité d'assiégés.
Mais le concile fut beaucoup plus qu'une contre-offensive. En un temps où les chrétiens éclairés d'Occident ressentaient le besoin d'un Credo et d'un catéchisme, il apporta un corpus doctrinal à ceux qui restaient fidèles à Rome. Son effort de clarification théologique porta sur les problèmes brûlants de l'époque : rapports de l'Écriture et de la Tradition, péché originel et justification, signification des sacrements, présence du Christ dans l'eucharistie. Son souci pastoral ne fut pas moins évident : il voulut que les évêques fussent de vrais évêques, les prêtres de vrais prêtres, que le clergé fût capable d'enseigner la religion, que la prédication fût effectivement assurée dans les paroisses mêmes. Enfin, par un long décret de la vingt-cinquième session, il s'efforça de réformer religieux et religieuses.
L'application des décisions du concile
Rome, qui n'avait pas veillé à l'application des décisions prises dans les conciles qui précédèrent celui de Trente, travailla, en revanche, à faire entrer les décrets tridentins dans la vie quotidienne. Pie IV les confirma dès le 26 janvier 1564 (les pères s'étaient séparés le 4 décembre précédent) et une bulle précisa en juillet qu'ils seraient obligatoires dans tout l'univers catholique. Deux ans plus tard sortit le catéchisme dont le concile avait demandé la rédaction dès 1546. Bréviaire et missel romains parurent respectivement en 1568 et 1570. L'assemblée œcuménique avait déclaré la Vulgate authentique. Sa version révisée, la « Vulgate clémentine », vit le jour en 1593. La papauté faisait donc sien l'esprit de réforme qui s'était manifesté à Trente. Cette nouvelle mentalité religieuse eut cependant du mal à imprégner la pratique journalière. Entre les intentions et les réalisations s'interposèrent les habitudes, la routine, la faiblesse humaine, plus tard la lassitude. Les papes qui gouvernèrent désormais l'Église catholique donnèrent en général l'exemple de la dignité. Deux ont été canonisés – Pie V (1565-1572) et Innocent XI (1676-1689) –, mais le népotisme pontifical continua, et aussi celui des évêques. Des Gondi accaparèrent pendant quatre-vingt-treize ans (1569-1662) le siège épiscopal, puis archiépiscopal de Paris. Des Rohan furent évêques de Strasbourg sans interruption de 1704 à 1803. La commende et le cumul des bénéfices ne disparurent pas. Le rythme régulier prévu pour les synodes provinciaux (tous les trois ans) et pour les synodes diocésains (tous les ans) ne fut pas respecté, non plus que celui des visites pastorales (chaque paroisse devait être inspectée tous les deux ans). Les séminaires, créés en grand nombre en Italie dès la seconde moitié du xvie siècle, conformément au vœu du concile, consistaient à rassembler de façon hétéroclite dans un même établissement tous les candidats au sacerdoce depuis l'âge de douze ans jusqu'aux ordinands. Il n'en sortit qu'un clergé médiocre. Quant aux séminaires français où l'on restait de dix-huit mois à deux ans avant la prêtrise, ils n'apparurent que dans la seconde moitié du xviie siècle. La renaissance catholique fut freinée par tout un ensemble d'éléments : guerres de religion en France et en Belgique, césaropapisme des souverains (le patronat hispano-portugais fit écran entre Rome et de nombreux pays d'outre-mer), force d'inertie des hommes d'Église. Le bas clergé répugna longtemps à s'instruire, à porter l'habit clérical et à enseigner le catéchisme, tandis que la richesse restait la grande entrave de la haute Église romaine.
En dépit de ces lenteurs et de ces faiblesses, il reste vrai qu'un catholicisme fortifié sortit de la crise de la Renaissance. Rome cessa d'être la ville licencieuse et païenne vilipendée par Savonarole et Luther et prit un visage digne, que rehaussa la noblesse de son décor architectural. C'est une cité moralement respectable et physiquement impressionnante (à cause de toutes les constructions religieuses et civiles des années 1560-1630) que les pontifes présentèrent aux pèlerins des années saintes. Le prestige d'une ville qui reprenait conscience de soi accrut l'autorité des papes sur le monde catholique et compléta ainsi l'action du concile de Trente, qui, contre toute attente, avait renforcé la position du Saint-Siège. Contribuèrent aussi à ce renforcement la réorganisation du gouvernement de l'Église à partir de Paul III et la mise sur pied des congrégations – la plupart furent créées sous l'énergique Sixte Quint (1585-1590).
Rome fut désormais le centre d'où partirent les directives esthétiques. Ce qu'on a longtemps appelé « art jésuite » fut en réalité un « art romain ». Il exprima la majesté d'une capitale qui se voulait spirituellement conquérante et il se répandit grâce au prestige dont la cité des papes bénéficia à nouveau dans le monde. L'art sacré perdit une partie de la liberté et de la fantaisie dont il avait joui durant les périodes antérieures. Inspiré par les théologiens, il fut apologétique et fonctionnel. Exubérant dans sa version baroque, plus recueilli et dépouillé dans sa version classique, il se voulut efficace. Le plan de l'église dut permettre les processions à l'intérieur de l'édifice et le déploiement d'une noble liturgie. De modestes oratoires latéraux convenaient à l'oraison mentale recommandée par saint Ignace, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, saint Philippe Neri. Afin de revaloriser la messe, l'autel central fut surhaussé, le jubé supprimé. Des verrières blanches, succédant aux vitraux multicolores, rendirent l'église plus claire et les offices plus faciles à suivre. Pour que le prédicateur fût entendu de tous, on soigna l'acoustique et la chaire se dressa, majestueuse, au milieu de la nef. La revalorisation de la communion et de la confession explique les belles balustrades de marbre qui remplacèrent les jubés et les extraordinaires confessionnaux qu'on peut encore admirer aux quatre coins de l'Europe baroque.
Importante nouveauté : l'art religieux de la Réforme catholique accueillit et exprima largement le grand courant de mysticisme qui traversa la piété occidentale de Ruysbroek à Fénelon, atteignant son apogée à la fin du xvie siècle et durant la première moitié du xviie (Le Château intérieur de Thérèse d'Ávila est de 1577 et le Cantique spirituelde Jean de la Croix, de 1578). Au « siècle des saints » – entre 1550 et 1650 –, nombreux sont les « illuminés » à qui paraissent données les clés d'un monde auquel le commun des hommes n'a pas accès. Ils reçoivent le « don des larmes », sont favorisés de visions et de consolations spirituelles, aspirent à l'état théopathique où, dans une nuit irradiée de soleil, l'âme connaît l'union divine. Mais le chemin qui mène à l'extase passe par des souffrances indicibles et de cruelles mortifications. L'âge d'or du catholicisme tridentin – celui de Polyeucte – fut un temps d'héroïsme qui explique le courage de tant de missionnaires martyrisés au Japon ou au Canada.
Ces apôtres d'Amérique ou d'Asie (jusqu'à la création de la Société des missions étrangères) étaient des religieux. La Réforme catholique, dans un premier temps, c'est-à-dire avant 1650, fut d'abord et surtout propagée par les congrégations religieuses qui connurent alors un essor extraordinaire. À la mort d'Ignace de Loyola, en 1556, la Compagnie de Jésus comprenait déjà 1 000 membres et administrait une centaine de fondations. Un siècle plus tard, on comptait 15 000 Jésuites et 550 fondations. En 1773, au moment de la suppression de leur ordre, les Jésuites étaient 23 000, répartis entre 39 provinces ; ils enseignaient dans 800 collèges. Nouveaux venus, eux aussi, les Capucins étaient 30 000 au début du xviiie siècle pour 1 800 établissements. Presque tous les ordres médiévaux revinrent à une plus stricte discipline et connurent au xviie siècle leur apogée. Le succès des congrégations féminines fut plus éclatant encore : Carmélites rénovées par Thérèse d'Ávila, Ursulines, Visitandines, Filles de la Charité attirèrent nombre de vocations. Toutefois, l'essentiel demeurait le redressement de la vie paroissiale, surtout dans les campagnes délaissées au Moyen Âge par l'évangélisation. Les missions de l'intérieur, puis un clergé plus digne et plus instruit que par le passé s'efforcèrent de christianiser le peuple. La messe dominicale et les sacrements, notamment la confirmation, la confession et l'eucharistie, furent revalorisés. Le catéchisme devint obligatoire. Dans des églises neuves ou restaurées, le culte prit chaleur, ampleur et couleur. Des confréries nouvelles en l'honneur du Sacré-Cœur et du Rosaire entretinrent la piété des fidèles.
Résultats de la Réforme catholique
De tant d'efforts sur de multiples fronts quels furent les résultats ? Le sort des armes permit assurément au catholicisme de reprendre en main la situation en France, au sud des Pays-Bas (l'actuelle Belgique) et en Bohême. Mais le nouvel essor de la foi romaine dans ces pays, ainsi qu'en Autriche, en Pologne, en Allemagne méridionale et rhénane, s'explique tout autant par l'action des collèges jésuites et la création d'universités nouvelles, qui, a écrit un historien protestant, « de l'embouchure du Rhin à celle de la Vistule, entourèrent le foyer de l'hérésie d'une ceinture de travaux de siège ». L. Willaert a affirmé de son côté : « Si le catholicisme a pu se maintenir en Allemagne et racheter en partie ses pertes, c'est principalement grâce à ces citadelles de la science théologique. » Hors d'Europe, la période 1500-1800 fut celle d'une expansion planétaire du catholicisme. En trois siècles, 55 diocèses et 10 archidiocèses furent créés en Amérique (43 et 7) et en Asie (12 et 3) et une vingtaine de vicariats apostoliques. En 1790, on comptait au Mexique et en Amérique du Sud plus de 70 000 églises et au moins 850 couvents.
Pourtant, au siècle des Lumières, l'ardeur des années conquérantes paraît épuisée. L'Église romaine semble être en crise et donner des signes de fatigue. La papauté s'avère impuissante à défendre les Jésuites contre les rois ; et les papes du xviiie siècle, à l'exception de Benoît XIV (1740-1758), sont des médiocres. Les ordres religieux vieillissent et dépérissent, l'énergie du clergé fléchit, les sciences ecclésiastiques stagnent, les confréries se laïcisent. Face aux attaques contre le dogme chrétien, la théologie se tient sur la défensive.
La Réforme catholique a-t-elle si vite échoué ? Certes, le tableau traditionnel qui oppose la tiédeur religieuse du xviiie siècle à la ferveur chrétienne de l'époque précédente demande à être nuancé. Tocqueville a noté avec raison que la France n'avait jamais eu un clergé mieux pourvu de vertus « et en même temps de plus de foi » qu'au moment où la Révolution l'a surpris : « La persécution l'a bien montré. » D'autre part, ce qui a commencé à fléchir au cours du xviiie siècle, c'est moins la foi vécue que le conformisme. Il importe, en effet, de souligner avec Gabriel Le Bras que « déchristianisation » est un mot « fallacieux », et que « la pratique n'est qu'un des signes (de l'adhésion religieuse), le plus visible, mais aussi le plus superficiel ». Ce correctif est nécessaire pour juger historiquement les résultats de la Réforme catholique. Mais il est certain que les trop longs débats sur le jansénisme et les rites chinois constituèrent une grave perte d'énergie et précipitèrent la démarche de ceux qui tendaient à se détacher de la foi chrétienne. Il est certain aussi que la situation religieuse de l'Amérique catholique était moins brillante que les chiffres précédemment cités pourraient le faire croire : la christianisation y était freinée par les faiblesses du clergé, l'ingérence des autorités laïques dans la vie de l'Église et l'esclavagisme des laïcs. Enfin, en Europe même, le christianisme que l'on enseigna aux masses (d'ailleurs largement analphabètes) inséra souvent le Credo à l'intérieur d'une religion à la fois obligatoire, menaçante (en raison de la constante insistance sur l'enfer) et hostile au monde. L'appui du pouvoir se dérobant, la crainte de l'enfer fléchissant, la science et la joie de vivre se développant, conformisme et religion traditionnelle ne pouvaient que décliner. Mais le christianisme, dans ce qu'il a d'essentiel, n'avait-il pas gagné du terrain, même au xviiie siècle, auprès des élites religieuses grâce aux deux réformes catholique et protestante ?
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Écrit par
- Jean DELUMEAU : professeur honoraire au Collège de France, membre de l'Institut
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