CONTRE SAINTE-BEUVE, Marcel Proust Fiche de lecture
Contre Sainte-Beuve est un recueil de fragments écrits dans les années 1908-1909 par Marcel Proust (1871-1922). Depuis au moins quatre ans, ce dernier a en tête un ouvrage où il démontrerait l'inanité de la méthode du grand critique du xixe siècle, tout en exposant ses propres théories esthétiques. Le projet mûrit, mais n'ira pas au-delà de notes et de quelques passages rédigés. En effet, parallèlement, Proust conçoit peu à peu l'architecture de ce qui deviendra À la recherche du temps perdu. Après avoir hésité sur l'ampleur et la forme à donner à son étude (simple article, essai plus ambitieux, ou récit d'une conversation avec sa mère) et avoir même un temps songé à en faire la conclusion du roman à venir, Proust l'abandonnera finalement au profit de son grand œuvre, qui en conservera néanmoins la trace. Un premier Contre Sainte-Beuve est publié en 1954, aux éditions Gallimard, par Bernard de Fallois. En 1971, Pierre Clarac en propose une seconde version, sensiblement différente, dans la Bibliothèque de la Pléiade.
« Sainte-Beuve a méconnu tous les grands écrivains de son temps »
Partant de la projection, au reste assez vague et elliptique, d'un ouvrage « total » qui mêlerait essai et roman, Bernard de Fallois a choisi de réunir les textes écrits de manière concomitante par Proust sur les mêmes cahiers, associant les passages qui concernent Saint-Beuve et des brouillons préparatoires de La Recherche. Le recueil s'ouvre sur un projet de Préface où se trouve affirmé le primat de la sensation sur l'intelligence. La mémoire involontaire y est présentée comme le moyen d'accès privilégié au passé. L'intelligence n'en est pas moins finalement réhabilitée, puisque, après tout, « cette infériorité de l'intelligence, c'est tout de même à l'intelligence qu'il faut demander de l'établir ». Ainsi se trouvent légitimées non seulement la rédaction d'un ouvrage théorique sur la critique littéraire, mais, par avance, l'inclusion future de cette théorie dans la fiction. Dans le chapitre suivant, « La Méthode de Sainte-Beuve », Proust définit, pour le condamner, le « biographisme » dominant à l'époque, qui consiste à analyser l'œuvre au regard de l'homme. Tout à l'inverse, la doctrine proustienne pose une radicale hétérogénéité entre la littérature et ce qu'il est convenu d'appeler la « vie » : la première n'a nullement vocation à être le « reflet » de la seconde, pour la simple raison que « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réelle, c'est la littérature ». Ce contresens a conduit Sainte-Beuve à accumuler les jugements faux sur les grands écrivains de son temps. Les chapitres intitulés « Gérard de Nerval » (dont le lien avec le livre sur Sainte-Beuve reste incertain), « Sainte-Beuve et Baudelaire » (seul titre qui soit de Proust lui-même), « Sainte-Beuve et Balzac » et « Le Balzac de M. de Guermantes » illustrent, par l'exemple et le contre-exemple, et les analyses erronées où ses présupposés fallacieux ont conduit Sainte-Beuve (dont la méthode est illustrée de manière caricaturale par la lecture que fait M. de Guermantes des romans de Balzac), et l'approche, résolument et exclusivement textuelle, voire stylistique, seule capable d'entrer en « sympathie » avec l'auteur et son œuvre, telle qu'elle est réclamée et mise en pratique par Proust. Les autres textes de la première édition sont des esquisses de La Recherche, présents ici au motif que les deux projets – l'essai et le roman – étaient au départ étroitement associés dans l'esprit de Proust, au point que celui-ci donna longtemps à la future Recherche, faute de mieux et par commodité, le titre de Contre Sainte-Beuve[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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