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CONTRE SAINTE-BEUVE, Marcel Proust Fiche de lecture

« Le moi de l'écrivain ne se montre que dans ses livres »

Contre Sainte-Beuve est un ouvrage virtuel et doit être considéré comme tel. Si certains passages, devenus célèbres, comme le début du projet de Préface, ou la description de la méthode de Sainte-Beuve, ou telle note particulièrement suggestive (« les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot, chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres, tous les contresens qu'on fait sont beaux »), valent pour eux-mêmes, il s'agit avant tout d'un document passionnant sur la genèse d'une œuvre littéraire majeure. Car, à travers le réquisitoire contre un célèbre critique (non pas l'homme, Proust y insiste, mais la méthode, véritable institution), c'est bien la mise en place d'une esthétique à laquelle nous assistons, au même titre d'ailleurs que dans les pastiches de Balzac et de Flaubert, qu'il conviendrait de lire en parallèle des chapitres consacrés ici à ces deux auteurs. Lecture approfondie des maîtres (non pour les imiter mais au contraire pour se délivrer de leur influence), élaboration d'une pensée esthétique, et mise en œuvre dans l'écriture elle-même : ces trois activités exactement contemporaines ne sauraient être dissociées. Elles se retrouveront, en effet, étroitement liées dans La Recherche, et notamment dans Le Temps retrouvé, qui n'est pas loin d'adopter la forme de l'essai auquel Proust avait songé dès l'origine. Ainsi, en refusant de considérer l'œuvre comme le reflet de la vie, mais en plaidant pour une analyse avant tout stylistique, Proust n'oppose pas seulement une méthode critique à une autre ; il élabore et livre sa propre conception de la littérature, qui fait du style non un outil, mais une véritable vision du monde. Il affirme l'impérieux devoir, pour l'artiste comme pour le critique, d'aller au-delà des apparences afin d'atteindre le Moi profond de l'individu (ce que précisément n'a pas su faire Sainte-Beuve). Et, dans ce but, il met au jour, par-delà les préfigurations somme toute anecdotiques (le pain grillé qui deviendra la petite madeleine), le pouvoir de la réminiscence, grâce à quoi l'écrivain peut « ressaisir quelque chose de nos impressions, c'est-à-dire atteindre quelque chose de lui-même et la seule matière de l'art ».

Il n'en reste pas moins que le Contre Sainte-Beuve constitue une étape importante dans l'histoire de la critique littéraire : il inaugure une nouvelle approche, appelée à connaître, une cinquantaine d'années plus tard, un écho et un prolongement considérables avec ce que l'on nommera la « nouvelle critique », qui fera précisément du texte un tout autonome et du style la substance même de l'écrivain.

— Guy BELZANE

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