CONTREPOINT
Le contrepoint est l'art de faire chanter en toute indépendance apparente des lignes mélodiques superposées, de telle manière que leur audition simultanée laisse clairement percevoir, au sein d'un ensemble cohérent, la beauté linéaire et la signification plastique de chacune d'elles, tout en lui ajoutant une dimension supplémentaire, née de sa combinaison avec les autres.
Une telle conception de l'écriture musicale, avec ce qu'elle a de surprenant et de presque paradoxal, ne pouvait être un apriorisme. Elle devait nécessairement procéder d'une évolution très lente et très hasardeuse, à partir d'un événement impossible à situer de façon précise et qui aurait pu ne jamais se produire, puisque aussi bien des hommes de toutes les régions du globe ont, durant des milliers d'années, fait de la musique selon parfois les systèmes les plus complexes et les techniques les plus raffinées, sans concevoir d'autre fin à leur travail créateur que des jeux rares et subtils de rythmes et d'intervalles dans la pure temporalité monodique.
Naissance et développement de la polyphonie
Consonance et parallélisme
Il faut admettre cependant que l'amorce de l'audition simultanée de deux sons différents existe déjà dans le fait que des voix féminines chantent tout naturellement une mélodie à l'octave des voix masculines. Ainsi se trouve affirmé le principe de consonance parfaite entre deux sons à distance d'une octave.
Mais de tout temps, et même dans les systèmes musicaux les plus primitifs, l'oreille humaine a accepté la consonance de quinte comme presque aussi impérative ; et la musique hindoue, fidèle aujourd'hui encore à ses plus anciennes traditions modales et monodiques, admet des accompagnements instrumentaux qui suivent à la quinte, de façon plus ou moins continue, la voix du chanteur.
Ainsi firent dans notre haut Moyen Âge les foules qui assistaient aux offices religieux et y chantaient les monodies du plain-chant en les adaptant aux tessitures extrêmes ou intermédiaires des fidèles. Les voix chantant à la quarte ou à la quinte de la voix principale étaient dites paraphonistes.
Une semblable pratique, courante au viie ou au viiie siècle, n'était pas sans poser des problèmes. L'échelle diatonique servant de base aux différents modes médiévaux accepte une quinte juste sur six de ses degrés, mais non sur le si, dont la quinte juste (fa dièse) introduirait un chromatisme étranger. À la quinte du si, le diatonisme nous propose donc le fa naturel, quinte diminuée qui ne peut en rien prétendre à la consonance.
Ce seul exemple montre que la pratique rigoureuse du parallélisme ne pouvait satisfaire complètement les musiciens du temps. Son abandon devait être un premier pas vers une plus libre association des voies unies dans la prière collective.
L'ars antiqua
La première étape importante de l'évolution ainsi amorcée consistera dans l'introduction du mouvement contraire. C'est ce qu'on appellera le déchant. Forme de contrepoint encore extrêmement primitive, il demeure esclave des valeurs de la mélodie initiale, puisqu'il offre à chacune de ses notes une note correspondante et de durée identique. D'où le nom de contrepoint : point contre point, note contre note. Lorsque la ligne principale monte, cette nouvelle ligne descend et vice versa, les deux lignes devant se trouver constamment en rapport de consonance, c'est-à-dire de quinte, de quarte (qui est le renversement de la quinte) ou d'unisson.
Généralement à deux voix, le déchant pouvait s'écrire aussi à trois voix, ce qui obligeait alors le compositeur à admettre entre les sons d'autres rapports que de consonance parfaite.
Une autre forme de composition, à ces lointaines origines de l'écriture polyphonique, était l' organum qui renonçait au « note contre note[...]
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Écrit par
- Henry BARRAUD : compositeur de musique, ancien directeur de la musique et du programme national de la Radiodiffusion française
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