CONTREPOINT
Intérêt pédagogique du contrepoint
Il n'est donc pas surprenant que l'enseignement de la technique musicale passe par une étude nécessaire et approfondie de cet art dont la pratique apporte, à celui qui en a acquis la maîtrise, une clarté de rédaction, une souplesse d'écriture, une acuité de la pensée que la seule étude de l'harmonie ne suffirait pas à lui donner. C'est pourquoi les méthodes par lesquelles on assure la formation d'un compositeur divisent généralement cette formation en trois étapes : l'harmonie qui lui apprend à entendre, le contrepoint qui lui apprend à dessiner, la fugue qui lui apprend à construire.
Il y a tout intérêt à n'aborder l'étude du contrepoint qu'après celle de l'harmonie, car le maniement du contrepoint est une opération mentale plus abstraite et qui tend à intellectualiser la création musicale. Une formation harmonique préalable ouvre au contraire la sensibilité de l'élève à la réalité concrète de la manière sonore. Il s'imprègne de ce qu'il y a de vivant, de sensuel, de coloré dans les accords et dans leurs enchaînements ; il apprend à en faire l'analyse, à les identifier, à les varier, à les promener d'un ton dans un autre, à les faire surgir à point nommé là où on les attend et là où on ne les attend pas. Il éduque ainsi son oreille intérieure, et c'est alors que l'étude austère et rigoureuse du contrepoint viendra apporter dans cette opulente matière première l'ordre de l'intelligence et la marque du style.
Austère et rigoureux, tel est certes l'enseignement du contrepoint. Il suit, peut-on dire, l'ordre chronologique. C'est-à-dire qu'il place à la base de tous ses exercices une succession de sons en valeurs longues qui joue le rôle du thème liturgique démesurément dilaté sur lequel le compositeur médiéval faisait évoluer les voix d'un organum.
Tout comme les choses se passaient jadis, l'apprenti compositeur commence à faire du contrepoint note contre note, et par mouvements contraires, chaque valeur étant à ce stade représentée par une ronde. Puis, passant à un autre type de contrepoint, il installe sur la succession de rondes une succession de blanches (deux blanches, donc, par mesure). Il passe ensuite à un contrepoint de noires, soit quatre notes pour chaque ronde de cantus firmus. Il est clair que, plus les valeurs de la voix organale diminuent, plus augmentent les chances de rédiger une ligne ayant une allure mélodique. Mais à ce stade ses chances sont encore étroites, puisque toutes les valeurs de cet embryon de mélodie doivent demeurer égales entre elles. La variété rythmique lui est interdite. Les choses se compliquent avec l'exercice suivant. La voix organale revient aux valeurs longues du cantus firmus, mais chaque note est énoncée avec un retard sur ce dernier de la valeur d'une blanche. L'exercice se présente donc comme une série continue de syncopes. Après quoi l'élève respire pour un temps, car il aborde le contrepoint fleuri où il est autorisé à mélanger à son gré dans la voix organale les diverses valeurs rythmiques qu'il a, jusqu'ici, traitées séparément. La voix qu'il rédige en association avec le cantus firmus acquiert de ce fait une personnalité rythmique et non plus seulement linéaire. Les conditions d'une mélodie digne de ce nom sont enfin réunies. Mais son euphorie est de courte durée, car il va lui falloir maintenant ajouter une troisième voix, en attendant d'en composer une quatrième, pour retomber ainsi dans la même succession de servitudes, considérablement aggravées par leur multiplication. Le maximum de l'austérité sera sans doute atteint lorsqu'il aura à réaliser ce qu'on appelle un « mélange à quatre », c'est-à-dire un contrepoint à quatre voix avec un cantus firmus en rondes, une voix en blanches, une voix en noires et une voix[...]
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Écrit par
- Henry BARRAUD : compositeur de musique, ancien directeur de la musique et du programme national de la Radiodiffusion française
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