CONTROVERSES SCIENTIFIQUES PUBLIQUES
L'éthique, remède ou poison ?
Au-delà de cet effort de compréhension, les pouvoirs publics, notamment les offices d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, ont tenté de prendre en compte les diverses dimensions à l'œuvre. Avec la reconnaissance de l'introduction rapide du principe de précaution dans différents textes de lois internationaux et nationaux, qui exige une participation du public, ces offices européens ont imaginé toutes sortes de procédures (Reber, 2005) d'évaluation technologique participative (E.T.P.) pour traiter de la façon la plus équitable possible ces questions. Au-delà des règles procédurales à respecter, des questions d'éthique substantielles se posent. Or les désaccords moraux pourraient-ils échapper à ce que Socrate (dans Euthyphron, dialogue de Platon sur la piété) voyait déjà comme le seul type de querelle qui pouvait fâcher des amis, contrairement aux questions scientifiques ? Si la « pureté » des faits scientifiques a pu être nuancée, notamment par leurs producteurs principaux (Watson, 1968), la possibilité de résoudre des questions morales n'est pas du tout garantie, si on considère toutes les positions argumentées qui existent dans les domaines de l'éthique appliquée, des théories morales et de la méta-éthique (Singer, 1991). Néanmoins, ces procédures d'E.T.P. présentent l'avantage d'exiger un effort de justification de la part d'experts de haut niveau et de panels de citoyens ou de porteurs d'intérêts, ce qui restreint la gamme des réponses. Certes, des désaccords pourront persister, mais ils auront fait l'objet de documentation et de justification au sein d'assemblées pluralistes (Reber, 2006), ce qui constitue déjà une avancée par rapport au refus de la controverse, à la dénonciation ou encore à des arbitrages en situation de sous-information.
Si la conduite des controverses scientifiques est ardue, leur publicité et la reconnaissance de leurs aspects moraux exigent aujourd'hui encore plus d'imagination. Nous n'avons plus simplement affaire aux questions déjà bien compliquées de la vérification ou de la falsification des faits ou des théories, mais à leur « conjugaison » avec des questions relevant de la justice, du respect, de la prudence, de la responsabilité et, parfois, de la précaution.
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Écrit par
- Bernard REBER : philosophe, chercheur au centre de recherche Sens, éthique, société, C.N.R.S., université de Paris-V
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