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CORIOLAN (mise en scène C. Schiaretti)

Il y un côté « hussard noir » du théâtre chez Christian Schiaretti. Successeur depuis 2002 de Roger Planchon à la tête du T.N.P. à Villeurbanne, après avoir été dix ans directeur du Centre dramatique national de Reims, il ne cesse d'y défendre un théâtre ancré dans le politique et dans l'Histoire, frappé du double sceau de la décentralisation et de l'éducation populaire. Un théâtre citoyen et de service public qui, pour relever de l'émotion directe, n'en prétend pas moins éclairer le spectateur du présent à la lumière des poètes du passé. C'est dans cette droite ligne que s'inscrit la mise en scène du Coriolan de William Shakespeare, qu'il a créée à Villeurbanne à la fin de l'année 2006. Quel en est le sujet ? La « chose publique ».

Datée de 1607 – soit quatre ans après la mort d'Élisabeth Ire, trente-deux ans avant la dictature de Cromwell –, cette tragédie est la dernière de Shakespeare. La plus ouvertement politique, la plus complexe aussi – ce qui explique, sans doute, qu'elle soit rarement jouée, notamment en France. L'histoire, inspirée d'un chapitre des Vies des hommes illustres de Plutarque, retrace les débuts balbutiants de la République romaine, au ve siècle av. J.-C. Les rois étrusques en ont été chassés vingt ans auparavant. À l'intérieur, le spectre de la famine pousse à la guerre civile entre patriciens et plébéiens. À l'extérieur, les Volsques menacent. Caïus Marcus, général des troupes romaines, les défait à Corioles – d'où son surnom de « Coriolan ». Célébré en héros, ce guerrier fier et incorruptible est poussé par le Sénat et par sa mère, Volumnia, à briguer le consulat. Réticent d'abord, il accepte. Mais s'il revêt la « toge d'humilité » et se prête à la comédie de la séduction pour recueillir les suffrages, son discours méprisant et son attitude hautaine effraient les tribuns et la plèbe qui réclament son bannissement. Mortifié, Coriolan se met au service des Volsques et s'apprête à détruire Rome. Seule l'intervention de Volumnia l'arrête. La République est sauvée. Coriolan retourne chez les Volsques. Mais leur chef, s'estimant trahi, le fait assassiner.

Quarante ans avant le Léviathan de Hobbes, cette tragédie s'inscrit de plain-pied dans le débat ouvert à la Renaissance par Machiavel et toujours recommencé sur la nature de l'État, ses institutions, son fonctionnement : entre oligarchie et démocratie, tyrannie et populisme, quel régime choisir ? Comment concilier la liberté et l'ordre, l'intérêt général et l'intérêt particulier ? Comment penser la lutte des classes et la justice sociale ?

Au fil du temps, nombre de mises en scène ont tenté d'apporter leur réponse. Les unes, comme en 1933, à la Comédie-Française, réduisaient la pièce à une charge virulente contre le parlementarisme et contre la plèbe, pour mieux élever Coriolan au rang d'homme providentiel. Les autres, au contraire, dénonçaient dans le général romain un fasciste avant l'heure, à l'exemple de Laurence Olivier à Londres, en 1938, puis en 1959. Christian Schiaretti, lui, ne tranche pas. Fidèle à l'esprit comme à la lettre de Shakespeare, il laisse le spectateur être le seul maître de ses réflexions. La démarche peut apparaître humble ; elle s'avère d'une intelligence redoutable. Débarrassé de tout a priori, le texte résonne seul sur le plateau transformé en chambre d'écho – un espace nu, barré au fond d'un grand mur, baigné de lumières sombres. Le sol brut s'incurve insensiblement comme une vasque, montrant en son centre une grille d'égout où s'écoulent régulièrement les eaux sales du monde, à moins qu'elle ne serve de réceptacle au sang des guerres. Faisant choix d'une esthétique qui n'est pas sans rappeler Vilar, voire Mnouchkine, la mise[...]

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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