CORPS À CORPS. HISTOIRE(S) DE LA PHOTOGRAPHIE (exposition)
Rassemblant plus de cinq cents pièces et documents réalisés par quelque cent vingt photographes historiques ou contemporains, l’exposition Corps à corps. Histoire(s) de la photographie (Centre Georges-Pompidou, 6 septembre 2023-25 mars 2024) offre, en sept sections, un ample regard sur la représentation du genre humain aux xxe et xxie siècles.
À peine inventée, et sans attendre le stade de l’instantané, la photographie s’est emparée du genre majeur qu’est le portrait, qui appartenait jusqu’alors au domaine de la peinture et du dessin. L’exactitude assurée par l’objectif et l’interprétation qu’en restitue la surface sensible va accompagner l’expérimentation conduite dès les premiers essais de Niépce et de Daguerre. Conçue par le collectionneur Marin Karmitz et par Julie Jones, conservatrice au cabinet de la photographie du Centre national d’art moderne-Centre Pompidou, l’exposition débute au xxe siècle avec des photos de Constantin Brancusi (autour de 1907) et de S. I. Witkiewicz (1912-1914), en accord avec la frontière chronologique fixée pour le Centre lors de sa création en 1977. Corps à corps resserre dès lors le propos sur une représentation de l’humanité telle que la clive le discours social, et sur l’évolution du médium lui-même, tel que se l’approprient les artistes, une fois libérés de la polémique lancée par Baudelaire, dans le Salon de 1859, à propos d’une image qui serait mécanique, triviale et dénuée d’inspiration.
Figure humaine
Avec « Les premiers visages », le parcours met en lumière l’évolution d’un art rapidement parvenu à la maîtrise de sa technique pour s’émanciper des contraintes du portrait que l’on aurait souhaité fidèle, sinon complaisant. D’abord appréhendé comme un message émanant de la personne, le visage devient, autant qu’un sujet, un objet d’étude. S’il est toujours célébré avec Dora Maar ou Roman Vishniac, lebeau fait une place au vrai, à la puissance documentaire d’une humanité rencontrée sur le lieu même de son existence, qu’elle soit marquée par le travail chez Gotthard Schuh (Mineur, 1937), l’indigence chez Dorothea Lange, jusqu’au terrible portrait de la Femme aveugle (1916) de Paul Strand, portant un écriteau « blind » sur sa poitrine.
En interrogeant sa propre section, « Automatisme ? » s’invite dans la période jubilatoire du surréalisme. Libérée du drap noir du spécialiste, la photographie offre alors la complicité sans témoin d’une machine qu’on met en action grâce à un jeton ou à une pièce de monnaie. Venu d’Amérique, le procédé du Photomaton ouvre dès les années 1920, dans l’isoloir de sa cabine, l’accès à l’autoportrait, tel que s’y livrent en 1929 Marie-Berthe Aurenche dans un triptyque vertical et, à un demi-siècle de distance, Alain Baczynsky avec ses photogrammes détachés et commentés. La proposition d’une maîtrise intégrale de l’outil par le sujet lui-même se renouvellera, plus libre encore, avec la commercialisation du procédé Polaroid : le petit format d’épreuves brillantes se prête à l’intimité absolue de l’autoportrait comme au montage en pièces multiples, voire au concept de sériequi prospèrera cinq décennies plus tard (Christian Boltanski, 27 possibilités d’autoportraits, 2007).
Associés à la même notion d’instantané dont la photographie a su se rendre synonyme, la fraction de seconde et l’impact visuel investissent la section des « Fulgurances ». Au hasard d’une flânerie ou sous la forme d’une véritable traque (Weegee, Waxey Gordon, vers 1941) se livre pour toujours ce qui ne sera vu qu’une fois et, en l’occurrence, photographié. Rendus pérennes par leurs images new-yorkaises, la sérénité du voisin de métro de Louis Stettner, l’événement vu par la fenêtre d’Eugene Smith, la gêne d’une femme visée sur un trottoir par Helene Levitt répondent aux instantanés[...]
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Écrit par
- Hervé LE GOFF : professeur d'histoire de la photographie, critique
Classification
Média