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CORPS Cultes du corps

La tentation de la mutation

Mutant ses représentations et créant ses normes, ce corps n'est plus seulement une manière de travailler son apparence corporelle d'un corps pour soi mais une action par corps afin de dessiner ses modes incarnés de subjectivation. La subjectivation hybridée est le résultat de la personnalisation par le tatouage, le piercing, les implants, les prothèses, les compléments alimentaires, les médicaments, voire les drogues. Système sémiotique, l'hybride identitaire se montre aux autres en se différenciant d'eux par un corps extraordinaire et artificiel. Le corps biotechnologique modifie les coordonnées subjectives en s'inventant son monde corporel. Le glissement de faire une mutation à être hybride dépend des pratiques corporelles de l'identité. Simple mutation, l'état corporel est seulement transformé de manière provisoire ou au cours d'une évolution biopsychique durable comme celle du passage de l'enfance à l'adolescence.

Le corps n'est pas une prothèse extérieure à nous-même, il se produit lui-même au moyen de ses hybridations avec son environnement. L'hybridité modifie le soi corporel par un travail, un jeu et un exercice qui actualisent de nouvelles possibilités d'être jusque-là inédites, non prévues par l'ontogenèse et interdites par les normes. Le vivant n'arrête pas de produire de l'être dans le corps en réalisant des capacités par sa plasticité matérielle, la variation étant ainsi obtenue par déprogrammation ou reprogrammation. Ce corps-devenir fait advenir en s'hybridant de nouvelles étapes de réalisation du soi qui ne sont jamais un soi-même.

Selon ses moyens économiques, car certains n'ont plus que leur corps, l'hybride identitaire va incarner les nouvelles propriétés de notre être corporel : en équipant le corps de nouveaux matériaux, produits et technologies, cette liberté de l'hybridité implique un engagement renouvelable par l'action sur le corps. S'hybrider, comme l'illustre le pod utilisé par les personnages du film Existenz de David Cronenberg (1999), c'est se brancher sur une interaction corporelle qui vient modifier ses coordonnées sensorielles, ses processus mentaux et ses capacités motrices. La chirurgie plastique et esthétique propose des interventions, des implants et autres infiltrations pour modifier de manière provisoire (liftings, liposuccions, traitements antirides) ou définitive (chirugie des seins, rhinoplastie, changement de sexe, etc.) l'image de son corps ; l'entretien de son corps utilise des produits naturels ou artificiels (jusqu'au dopage) pour transformer la masse musculaire et améliorer les performances. L'hybridité fait ressentir en nous l'effet révélateur de l'interaction environnementale car elle s'incarne à l'occasion d'un événement, quand elle ne le crée pas elle-même.

En pouvant changer ses hybrides et prothèses, l'individu conserve une liberté d'initiative et a l'impression de pouvoir devenir un autre à chaque nouvelle hybridation. L'hybride ne se conserve pas dans l'être, il est en devenir par la mobilité, la fluctuation et la variation des états. Là où Rimbaud affirmait que « je est un autre », l'hybride propose un devenir indéfini car l'opération peut se renouveler selon le désir et les possibilités offertes par le progrès biotechnologiques. Plus qu'une individualisation, l'hybride identitaire dessine sur le corps lui-même une personnalisation de la matière.

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Écrit par

  • : professeur d'épistémologie du corps et des pratiques corporelles à la faculté du sport de Nancy

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