CORPS Données anthropologiques
Dans les sociétés occidentales, on estime couramment que le corps humain est un objet relevant seulement de la biologie ou de la physiologie, par exemple, et que sa réalité matérielle doit être pensée d'une façon indépendante des représentations sociales. En vertu de la longue tradition philosophico-religieuse de la séparation de l'âme et du corps, ce dernier ressortit au domaine de la connaissance objective, tandis que l'appréhension du psychisme serait soumise à la fluctuation des représentations. Or, les travaux anthropologiques – aussi bien que les études historiques, comme celles de Philippe Ariès ou de Françoise Loux – ont décrit l'extrême variabilité, selon les sociétés, des conceptions du corps, de son traitement social, de sa relation avec autrui et avec le monde, la pensée occidentale n'apparaissant en cette matière pas plus « rationnelle » que celle des sociétés « primitives ».
Pour ces dernières, le corps est l'un des éléments constitutifs de la « personne », ici entendue au sens ethnologique, soit les différents systèmes de représentations de l'être humain, recouvrant, outre le corps, les « âmes » et les « principes » de l'être. Quand on considère ainsi le corps comme un élément parmi d'autres au sein de systèmes symboliques variables, comme participant à l'édification d'une personne sociale, d'un membre conforme à l'image que son groupe institue comme normale, on se trouve dans une perspective radicalement différente de celle des conceptions modernes, pour qui le corps est une totalité autonome.
La pensée biologique
Toute société élabore un savoir sur les modalités de sa propre reproduction, une pensée « biologique » qui s'exprime dans des conceptions de l'hérédité et de la composition du corps. Ainsi, de nombreuses sociétés de l'Ouest africain considèrent que le garçon est la réincarnation d'un grand-père défunt, dont il est censé posséder certains traits physiologiques ou psychiques. D'autres ancêtres, ou bien des puissances extra-humaines (« génies » tutélaires), peuvent aussi intervenir dans l'édification du corps d'un nouveau-né et, tout en le plaçant dans la chaîne filiative des vivants et des morts, marquer sa singularité. Certaines anomalies corporelles, par exemple, sont le signe d'un choix de la part d'une entité surnaturelle et détermineront le devenir social de l'individu durant sa vie entière : il peut être appelé à remplir des fonctions spéciales (sacrificateur, gardien du culte de la puissance qui l'a désigné, etc.). Il est assez fréquent que, comme chez les Lobi du Burkina Faso ou chez les Senoufo de Côte-d'Ivoire, certains enfants soient considérés comme étant des « revenants », la réincarnation d'enfants antérieurement décédés : on donne le nom de « celui qui revient » à un enfant qui naît à la suite d'une série d'enfants mort-nés ou morts en bas âge. C'est, en effet, lors de la naissance que s'exprime de façon privilégiée cette pensée biologique où s'articulent hérédité réelle et hérédité sociale. Aussi la naissance est-elle généralement entourée de procédures rituelles dont certaines visent à spécifier les composantes exactes du nouvel arrivant. Les devins jouent alors un rôle important pour discerner les forces qui concourent à façonner le nouvel individu et pour déterminer le nom qui lui est approprié. Le nom est en effet un élément essentiel de la personne et se trouve indissolublement lié au devenir de celle-ci. Il arrive souvent que la nécessité de le modifier soit l'une des mesures principales à prendre lors du traitement d'un enfant malade, une fois qu'un devin a pu détecter la ou les puissances qui sont à l'origine des troubles (dans le cas où il s'agit, par exemple, de puissances animales, la guérison est attendue de l'imposition du zoonyme à l'enfant).[...]
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Écrit par
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
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