CORPS Données anthropologiques
Les représentations anatomiques
Les représentations portant sur la connaissance anatomique du corps sont, elles aussi, socialement codées. Plus généralement, les conceptions du rapport entre l'intérieur et l'extérieur du corps, la notion de frontières du corps varient sensiblement selon les sociétés. Pour les sociétés traditionnelles, la connaissance des organes et des fonctions physiologiques n'a de valeur que par son insertion dans la totalité sociale. Il ne s'agit pas là d'une incapacité à élaborer un savoir rationnel sur les fonctions physiologiques. Au contraire, un tel savoir est toujours en congruence avec la production intellectuelle d'une formation sociale donnée. En bref, l'état des connaissances est subordonné à la pertinence ou non de certains concepts dans une société donnée. La Chine, par exemple, n'a en fait pas pratiqué d'autopsie pendant deux millénaires, car une telle intervention ne s'intégrait pas dans les représentations chinoises du corps et ne correspondait pas à une nécessité logique. De même, pour les sociétés africaines, la connaissance anatomique est immédiatement reliée aux conceptions de la personne, de la mort, de la sorcellerie, etc. Ainsi, les Dogon du Mali considèrent que la formation de l'enfant dans la matrice commence par celle du crâne et des clavicules, celles-ci constituant le système de suspension de l'ensemble du squelette. De telles images ne peuvent être comprises que dans leurs correspondances avec les systèmes mythiques et symboliques complexes qui rendent compte de la fondation et de l'organisation du monde dogon : les deux clavicules contiennent, en effet, les symboles des huit graines primordiales formées par le Créateur au début de la genèse, et renvoient à l'agriculture, aux plantes cultivées, à la vie.
Il en est de même dans des sociétés non africaines telles que les Canaques de Mélanésie étudiés par Maurice Leenhardt, pour lesquels les définitions du corps expriment le rapport de l'homme avec le monde qui l'entoure, en particulier avec le monde végétal : les viscères tiennent une place à part par rapport à la peau, aux chairs, aux os, car ils relèvent du domaine de l'émotivité ; chacun de leurs éléments portant des noms d'arbres, ils procèdent du règne végétal – ce qui correspond aux conceptions mythiques des Canaques, selon lesquelles il y a entre l'homme et l'arbre identité de structure et de substance.
D'autres exemples pourraient illustrer cette corrélation, caractéristique d'un si grand nombre de conceptions traditionnelles, d'une vue anthropomorphique du monde et d'une vue cosmologique du corps. Les frontières qui délimitent l'identité personnelle et le monde extérieur paraissent ici bien différentes de ce qu'elles sont dans les sociétés occidentales, imprégnées par le savoir de la biomédecine moderne. Pour les Bambara du Mali, la structure anatomique est en intime correspondance avec les cycles astronomiques : une très riche élaboration symbolique fait correspondre les trente-trois segments qui représentent graphiquement l'enfantement aux trente-trois pièces osseuses de la colonne vertébrale et aux trente-trois années lunaires au terme desquelles il y a coïncidence entre calendrier solaire et calendrier lunaire.
Ce savoir anatomique est en connexion directe non seulement avec l'organisation cosmologique, mais aussi avec l'état des rapports sociaux, ce qui s'exprime en particulier à propos des phénomènes de sorcellerie. Dans certaines sociétés africaines, lors des funérailles d'un individu soupçonné d'être un sorcier, une autopsie du défunt est pratiquée afin de repérer la substance (présente dans le foie, la vésicule biliaire, les intestins, par exemple) que son corps ne peut manquer de recéler s'il s'agit vraiment d'un sorcier. Dans la sorcellerie[...]
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Écrit par
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
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