CORPS Données anthropologiques
Surface corporelle et statut social
La surface externe du corps humain est aussi l'objet d'une évaluation sociale variable. Au-delà des systèmes esthétiques propres à une stratification sociale donnée, il existe universellement une pensée de la conformité corporelle, qui sépare le normal de l'anormal, les « membres » du groupe des « étrangers ». La sémiologie de l'appartenance sociale revêt ainsi des formes variées, qui consistent fréquemment en un marquage tégumentaire : pour être socialement approuvés, les corps sont « retravaillés ». La capacité (au sens juridique) d'occuper certains statuts ou de remplir certains rôles, sexuels par exemple, ne s'effectue qu'au prix de l'exhibition d'un corps immédiatement signifiant, laquelle permet de situer d'emblée l'appartenance ethnique ou la position sociale d'un individu. Afin de différencier « Nous » et « Eux », de nombreuses sociétés pratiquent le marquage ethnique : peintures corporelles dans les sociétés sud-américaines, tatouages et scarifications dans les sociétés africaines, procédés qui peuvent coexister avec diverses mutilations (avulsion dentaire, ablation d'un doigt, etc.). Un tel système de signes, dont le code est connu de tous, permet à chacun d'identifier par le regard tout individu rencontré.
À l'intérieur d'une même société, il arrive que la hiérarchie sociale soit doublée d'un système de marquage qui distingue les statuts inégaux, les individus appartenant à des castes, etc. Ce système peut servir aussi à souligner la différenciation sexuelle (les femmes portent, par exemple, des scarifications ou tatouages qui leur sont propres) ou l'appartenance à une classe d'âge (le passage à une tranche d'âge supérieure, toujours corrélative d'un changement de statut – par exemple celui d'adulte ou de femme mariée –, est accentué par des marques sur le visage, le torse, etc.).
Une place à part doit être réservée aux mutilations sexuelles prescrites pour l'ensemble d'un sexe, telles que la circoncision masculine et l'excision (ou clitoridectomie) féminine. Ces pratiques, largement répandues en Afrique, où elles constituent parfois de très importants rituels intéressant toute une génération d'adolescents ou des individus, visent à parachever l'appartenance sociale, à compléter l'identité sexuelle d'enfants souvent considérés comme inachevés et à marquer symboliquement l'accès au statut d'adulte (par exemple, à la possibilité d'avoir des relations sexuelles). Dans les grands rituels de circoncision, comme chez les Ndembu de Zambie étudiés par Victor Turner, on retrouve la prégnance du symbolisme et des croyances concernant le monde et la personne qu'on a évoqués plus haut. La mutilation corporelle que comporte la circoncision ne prend tout son sens que par la place qu'elle occupe dans de complexes constructions symboliques où se correspondent les règnes humain, animal, végétal, les couleurs fondamentales, etc. Elle est le lieu privilégié de l'articulation entre le corps pris dans sa matérialité et l'organisation symbolique et sociale propre à tout groupe. Ainsi, la circoncision ndembu doit être interprétée en fonction du système matrilinéaire qui régit dans ce cas les rapports de parenté et à l'aide de catégories telles que le cru et le cuit, le pur et l'impur, le blanc, le rouge et le noir associés à des éléments organiques (sang et semence), à certains arbres à haute charge symbolique (comme celui qui sécrète le latex) ; plus généralement, le rite se comprend ici à partir de l'ensemble des conceptions locales qui rendent compte de la santé et de la maladie. Par là, le jeune Ndembu quitte le monde de l'enfance « impure » et celui de la féminité (le monde de sa mère et sa propre part de féminité que symbolise le prépuce) pour le statut d'homme adulte. Comme l'explique V. Turner, qui y[...]
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Écrit par
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
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