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CORPS Données anthropologiques

Les techniques du corps

Les modalités dynamiques du corps – gestes, déplacements – sont étroitement dépendantes du contexte culturel. Marcel Mauss, l'un des premiers sociologues à avoir noté comment varient, en fonction de l'éducation reçue, les manières dont le corps se meut (dans la marche, l'absorption alimentaire, les relations sexuelles, etc.), a montré, comme d'autres ethnologues après lui, combien ces postures sont loin d'être « naturelles » : ainsi, la position assise est pratiquement inconnue dans de nombreuses sociétés, au bénéfice de la position accroupie. Sachant que de tels dispositifs gestuels doivent être reliés à l'ensemble de la culture matérielle de la société considérée, l'observateur découvre alors de véritables configurations technologico-corporelles, qui définissent parmi les cultures, par exemple, celles où l'on se repose et où l'on mange accroupi ; celles où les prolongements technologiques du corps consistent logiquement en nattes, tabourets, etc. ; celles où se manifeste toute une science du récipient. Chacun de ces types de culture est indissociable de certaines structures sociales (par exemple, de la présence de « castes » d'artisans, mais pas nécessairement). Des fonctions physiologiques telles que l'accouchement ou la miction sont elles-mêmes culturellement marquées : c'est ainsi que, dans certaines sociétés, les femmes, pour uriner ou pour enfanter, peuvent se tenir debout.

Concernant les affects qu'on peut éprouver à l'égard des produits ou des parties du corps – affects aussi peu « naturels » que la pudeur ou la honte –, on retrouve la même labilité qu'à propos des limites corporelles : des déchets tels que les rognures d'ongles ou les cheveux continuent, même séparés du corps, à renfermer une partie des principes vitaux de la personne. Ils peuvent ainsi servir de support à des pratiques magiques dirigées contre leur possesseur, car ils sont métonymiquement la victime elle-même. Ou bien, fortement chargés d'ambivalence, potentiellement dangereux, ils doivent être rituellement neutralisés : le placenta et le cordon ombilical, les prépuces des jeunes circoncis font pratiquement toujours l'objet de procédures destinées à protéger leur propriétaire contre d'éventuelles agressions (par l'enterrement de l'organe, par exemple). Il arrive qu'ils matérialisent une entité sociale (comme le lignage) ou qu'ils interfèrent dans le destin ultérieur de leur possesseur : ils peuvent dans ce cas être intégrés à des cultes familiaux. La symétrie corporelle donne lieu souvent à des conceptualisations symboliques : dans de nombreuses sociétés africaines, la droite et la gauche sont le paradigme de toute une série de dualités, en particulier du dualisme sexuel (le côté droit serait le domaine masculin, le côté gauche le domaine féminin, ou l'inverse).

Le rapport de la mère à son jeune enfant joue un rôle important dans la question des techniques du corps, car il peut être un biais permettant d'expliquer les différences, dans l'ordre du psychisme, entre les individus élevés au sein des sociétés traditionnelles et ceux dont l'éducation a été façonnée par la culture européenne. Celles-là valorisent une véritable symbiose corporelle entre la mère et le nourrisson, que celle-ci porte en permanence sur son dos. Jusqu'à son sevrage, qui s'effectue en général tardivement et de manière brusque (vers la deuxième ou la troisième année), l'enfant vit dans une très intense intimité physique avec le corps de sa mère, les rythmes biologiques de l'un et de l'autre se trouvant à tout instant dans une grande proximité. Des contacts d'une telle qualité ont nécessairement d'importantes répercussions sur le développement psychique ultérieur de l'enfant, comme l'a montré Jacqueline Rabain pour les Wolof du[...]

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