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CORPS Données anthropologiques

Corps et maladie

Modifiant fortement le vécu individuel, le « corps à corps » de la mère avec son enfant est l'un des éléments qui rendent compte de la variabilité des maladies mentales selon les aires culturelles. On a pu noter, en Afrique, la rareté de certains troubles psychiques tels que la mélancolie, tandis que l'on constate, au contraire, une fréquence élevée d'autres syndromes, tels que les interprétations persécutives ou les plaintes hypocondriaques. L'importance de la somatisation dans la pathologie africaine a frappé de nombreux chercheurs, aussi bien parmi les anthropologues que parmi les psychiatres. En France, le développement des migrations internationales du travail a amené ces derniers à observer des troubles, déroutants au premier abord, qui constituent de multiples expressions somatiques de souffrances ou de malheurs que les cadres sociaux traditionnels auraient pu canaliser, notamment par des interprétations en termes de sorcellerie ou d'agression magique de la part d'autrui. Lorsque se sont désagrégés ou ont disparu ces cadres, qui n'étaient pas médiatisés seulement par la parole, il semble qu'il n'y ait plus place que pour un langage « anarchique » du corps, jusqu'à ce que d'autres cadres aient pu se reconstituer.

La maladie et le trouble physiologique, en effet, sont interprétés dans les sociétés traditionnelles d'une façon très caractéristique, qui est étroitement liée à une manière de concevoir le corps comme étant dépourvu d'autonomie propre, comme ne formant pas une totalité biologico-psychique définie de façon rigide et permanente. La maladie n'est presque jamais attribuée à une cause endogène ; au contraire, elle relève de séries de causalités extérieures. C'est sur des processus externes que se fondent les étiologies des dérèglements du corps, dont différents types d'agents peuvent être à l'origine : ancêtres défunts, puissances invisibles, ennemis malveillants qui attaquent en sorcellerie, en « double ». Manquements à la règle sociale ou ruptures d'interdits sont aussi des facteurs déclenchants de la maladie. Quoi qu'il en soit, c'est l'autre, ou bien un événement dont on ne se tient pas pour responsable, qui est supposé être la cause du trouble qu'on ressent dans son propre corps. Ainsi s'explique l'apparence persécutive ou paranoïaque de telles interprétations, qui ignorent la culpabilité caractéristique des modes de raisonnement repérables dans le champ de la médecine occidentale. La revue Psychopathologie africaine, entre autres publications, a consacré de nombreuses études à ces processus.

L'analyse des faits sociaux concernant la maladie montre bien que le fonctionnement corporel ne peut se comprendre quand on fait abstraction du fonctionnement social. L'étude des systèmes d'interprétation des maladies dans les sociétés africaines (systèmes divinatoires servant à l'établissement du diagnostic et systèmes thérapeutiques destinés à faire disparaître le symptôme) montre que tout trouble organique renvoie immédiatement à un dysfonctionnement dans la structure sociale. Chaque société élabore ainsi des correspondances systématiques entre désordres physiologiques et désordres sociaux, au double niveau du diagnostic et du traitement. Par là se trouve manifesté le principe de non-individuation qui soutient les conceptions du corps et de la personne. Il arrive, par exemple, que telle maladie soit interprétée comme le signe qu'une femme appartenant au lignage du malade a commis un adultère ou qu'une jeune fille a eu des rapports sexuels illégitimes. Ou bien, c'est une transgression dans l'ordre cosmologique, une rupture de l'équilibre entre le monde humain et le monde des entités extra-humaines qui sont la cause du trouble ; elles doivent alors[...]

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