CORPS ET BIENS, Robert Desnos Fiche de lecture
Publié en mai 1930, à peu de distance de sa rupture avec André Breton (mars 1929) et de la mort d'Yvonne George (avril 1930), au seuil de sa liaison avec Youki, le recueil Corps et biens constitue pour Robert Desnos (1900-1945) bien plus qu'une étape ou un adieu. Le regroupement de ces écrits de la décennie 1919-1929, les premiers à paraître aux éditions Gallimard, marque tout à la fois un nouveau point de départ et un bilan poétique pour celui qui parlait « surréaliste à volonté » (Breton).
Une constellation poétique
Un bandeau explicite accompagne cette publication : Bande à part. Rédigé de la main du poète, le prière d'insérer souligne que « l'art poétique de Robert Desnos qui se manifeste sous tous les aspects (de la prose à l'alexandrin faux, chevillé et creux) tient en deux mots : „Toutes licences“ ».
Il y a en effet bien peu d'ordre apparent dans cette succession chronologique de douze parties, qui prennent pied dans la jeunesse (Le Fard des argonautes et L'Ode à Coco, écrits à dix-huit ans) pour rejoindre le présent (les treize quatrains du Poème à Florence très précisément daté du 4 novembre 1929, en clôture du recueil). C'est qu'entre ces deux extrêmes il y a plus et mieux qu'un lien formel : les alexandrins du dernier poème se replient en miroir sur ceux du tout premier, et les quatrains de novembre 1929 (« Buvons joyeusement ! chantons jusqu'à l'ivresse !/ Nos mains ensanglantées aux tessons des bouteilles/ Demain ne pourront plus étreindre nos maîtresses/ Les verrous sont poussés au pays des merveilles ») répondent à ceux, épars et alternés, de L'Ode à Coco de novembre 1919 (« J'ai des champs de pavots sournois et pernicieux/ Qui, plus que toi Coco ! me bleuiront les yeux./ Sur Gomorrhe et Sodome aux ornières profondes,/ J'ai répandu le sel fertilisant des ondes »).
Ainsi, les cent cinquante propositions de Rrose Sélavy, composées sous la signature même dont Marcel Duchamp s'était fait un masque sexuel et ironique, précèdent tout naturellement la séquence d'une grande diversité formelle de L'Aumonyme puis les textes plus ordonnés de l'ensemble intitulé Langage cuit. Le corps premier du recueil est articulé à ces jeux de la lettre et du mot, « jeu de mot lyrique » salué par Leiris comme un exemple magistral.
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Écrit par
- Pierre VILAR : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne
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