CORPS ET BIENS, Robert Desnos Fiche de lecture
L'amour naufragé
Un second mouvement s'opère, dans la suite du livre, autour des poèmes d'amour naufragé, qui bouleversèrent Artaud ; ceux d'À la mystérieuse sont suivis par Les Ténèbres, aux images marines et forestières, vingt-quatre poèmes tendus entre la chanson à refrain et la litanie ; cette séquence s'achève sur le long poème multiforme de Sirène-Anémone (écrit en 1929), qui rompt avec certaines formes surréalistes du merveilleux et désigne le partage entre deux femmes, entre deux mers, deux ans avant la redécouverte, dans Siramour, d'une balance nouvelle en la personne de Youki.
Enfin, les quatrains de L'Aveugle, de Mouchoir au Nadir et de De silex et de feu, tous datés de 1929, assument cette poétique renouvelée à partir des archaïsmes ou des trouvailles ironiques de la chanson populaire, et portent l'imaginaire marin et l'aveuglement amoureux dans des alexandrins libérés, souples et distants. Desnos salue à sa façon désinvolte, entre une corrida byronienne et une promenade en hommage à Nerval, « la dame de minuit l'amoureuse sans nom » : le prière d'insérer ne craint pas de l'exposer, c'est là un poème-journal, « mais un journal singulièrement sincère, exact et adapté aux moindres révolutions de sa sensibilité ».
Sincérité et sensibilité diversement appréciées pas ses contemporains. Aragon vitupéra, dès le numéro 1 du Surréalisme au service de la révolution (1930), « l'absurde délectation qui s'étale aux quinquets de l'alexandrin », tandis que Breton dénonçait – suite il est vrai au pamphlet Un cadavre, dirigé contre lui – « une grande complaisance avec soi-même », avant de saluer dans ses Entretiens (1952) « le goût romantique du naufrage » dont Corps et biens porte la marque. René Bertelé indiquait aux lecteurs de 1968, dans la première édition en poche, la nature révolutionnaire de ces configurations diverses et paradoxales, sous le régime d'une voix lyrique clairement manifestée : « il y avait seulement, chez lui, le désir d'exprimer la poésie sous toutes ses formes, dans tous ses possibles ».
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Écrit par
- Pierre VILAR : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne
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