CORPS Le corps et la psychanalyse
Le corps est, en psychanalyse, une réalité difficile à penser, car elle défie les approches physiologiques et philosophiques, et décisive pourtant, puisque la sexualité humaine – considérée dans la jouissance ou dans des activités sublimatoires – a pour terrain le corps érogène, le corps capable d'angoisse et de plaisir.
Le corps hystérique et la pantomime de la jouissance
La psychanalyse a commencé lorsque Freud repéra dans les consultations d'hystériques de la Salpêtrière, puis dans le transfert, un autre corps. La spécificité de ce corps de plaisir fut conçue d'abord sur le mode du paradoxe comme une hétérogénéité scandaleuse au regard de la clinique médicale, car rebelle à ses constructions. Dans un article rédigé en français après son stage à la Salpêtrière, « Quelques Considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques », Freud décrit avec précision l'atypie des paralysies hystériques : leurs caractères visibles ne peuvent être rapportés à aucune des causes organiques connues ou jamais connaissables ; certains de leurs signes renvoient plutôt aux paralysies par projection, certains autres aux paralysies par représentation. Et, comme il est anatomiquement exclu qu'une paralysie soit à la fois de projection et de représentation, comme, d'autre part, les paralysies hystériques, qui ressemblent aux paralysies organiques, ne présentent pas, à l'examen, les troubles neurologiques concordants, il faut conclure, négativement d'abord, que l'hystérie ignore l'anatomie du système nerveux : « Elle prend les organes dans le sens vulgaire, populaire du nom qu'ils portent : la jambe est la jambe jusqu'à l'insertion de la hanche, le bras est l'extrémité supérieure, comme elle se dessine sous le vêtement. » Si lésion il y a, ce ne peut être qu'une lésion du vocable de bras ou de jambe : les patients n'ont plus la disposition de leur bras, un peu comme un sujet qui aurait serré la main d'un prince n'en aurait plus l'usage quotidien, parce que ce bras serait devenu sacré, impraticable dans ses fonctions ordinaires.
La première détermination de cet autre corps consiste donc à le dire homogène à un phénomène symbolique : la réalité du bras est dénaturalisée, comparable à un drapeau, ce bout de chiffon pour lequel des soldats se sacrifient. Plus précisément, le corps, dans l'hystérie, apparaît d'abord homogène au langage. Que l'hystérie prenne les organes au sens ordinaire, que la partie paralysée réponde au nom qu'elle porte, cela se confirme dans les cures psychanalytiques : dans le transfert, il se produit que les jambes d'Élisabeth von R., par exemple, se mêlent de la conversation, lorsqu'elle aborde un sujet précis ; l'idée lésée, c'est-à-dire refoulée, était : « Cela ne peut plus marcher ainsi. »
« Cela ne peut plus marcher ainsi, je ne le dis pas, mais je me paralyse » – tel est l'étrange raisonnement inconscient par lequel se constitue un symptôme qui, analysé physiologiquement, devient mystérieux. Il s'agit d'un jeu de mots, mais annulé dans sa dimension de discours et remplacé par une manifestation motrice. Par l'observation directe de ses patientes, qui manifestaient par moments un air d'extrême plaisir – plaisir importun au regard médical qui attendait de la douleur – mais surtout par le caractère toujours sexuel des scènes racontées en liaison avec l'apparition des symptômes dits de conversion, Freud fut amené à concevoir le corps inconscient comme étant concerné par le plaisir et le déplaisir sexuels.
Avec la découverte de la sexualité infantile, continuée et rejouée dans l'histoire des adultes, ce corps érogène gagna son autonomie : d'abord repéré comme une monstruosité dans le champ[...]
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Écrit par
- Monique DAVID-MÉNARD : professeur de chaire supérieure à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, psychanalyste
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