CORPS (notions de base)
Le corps-machine
Le dualisme cartésien oppose deux substances absolument hétérogènes, le corps, qui appartient à la resextensa (l’étendue géométrique), et l’âme, partie de la rescogitans (la substance pensante). Ce choix répond peut-être moins aux convictions métaphysiques de Descartes qu’à la nécessité de permettre une étude mécaniste du vivant. Comment, en effet, pourrait-on approcher de façon objective le corps si la clé de son fonctionnement est l’âme, partie invisible échappant à toute investigation ? Il nous faut donc supposer, ainsi que l’a rappelé par la suite le biologiste François Jacob (1920-2013) dans La Logique du vivant (1970), que les corps sont de simples machines : « Ou bien les êtres sont des machines, dans lesquelles il n’y a à considérer que figures, grandeurs et mouvements. Ou bien ils échappent aux lois de la mécanique, mais il faut alors renoncer à toute unité, à toute cohérence dans le monde. Devant ce choix, ni les philosophes, ni les physiciens, ni même les médecins ne sauraient hésiter : toute la nature est machine, comme la machine est nature. »
Pour Descartes, les corps seraient donc comparables à des horloges subtilement agencées qu’il s’agit de démonter pour en identifier les rouages, et éventuellement les modifier. « Lorsqu’une montre marque les heures par les moyens des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu’il n’est à un arbre de produire des fruits » (Principes de la philosophie, 1644). Il en est de l’animal comme du végétal, et il en est du corps humain comme du corps animal. Comparer le corps à une horloge ouvre la voie à une biologie qui mettra deux siècles à prendre son envol, mais dont les bases sont établies une fois pour toutes par René Descartes. Son dualisme n’oppose nullement le sensible à l'intelligible comme le faisait Platon, mais bien le monde géométrique, et donc analysable de la resextensa d’un côté, et celui de la rescogitans de l’autre, le monde invisible et inobservable de l’âme qui n’est accessible qu’à la seule intuition interne.
Dans cette optique, ce qui anime le corps vivant, ce qui le fait percevoir et se mouvoir ne doit relever que des éléments matériels présents en lui, que l’on peut étudier en leur appliquant les mêmes règles que celles qui ont permis d’étudier les corps inanimés. Seuls les principes d’un strict mécanisme sont susceptibles de rendre possible un examen objectif des corps qui nous ouvre les chemins de la maîtrise : une pareille connaissance devrait ainsi nous permettre de modifier un jour les corps vivants comme on modifie les structures matérielles, afin de nous ériger en « maîtres et possesseurs de la nature » (Discours de la méthode, 1637).
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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