CORPS (notions de base)

Le retour du corps

La dénonciation du dualisme assimilant le corps à une horloge a été d’abord opérée par Emmanuel Kant (1724-1804). Une montre ne se répare pas elle-même comme en sont capables les corps, elle ne se reproduit pas. Au siècle suivant, Pierre Maine de Biran (1766-1824) poursuit cette critique en se livrant à une relecture originale de Descartes. « Je pense » signifierait en réalité « je peux ». La formule « je pense » exprimerait l’intuition interne par l’âme des capacités du corps : indépendamment de tout savoir objectif, l’âme a le pouvoir de déployer les potentialités du corps. Ce « je peux », pure expérience du sujet, vécu à tout jamais inobservable de l’extérieur, échappe à toute représentation et ne saurait faire l’objet d’une investigation scientifique. Du même coup, ce savoir du corps est énigmatique : comment puis-je mouvoir ma main ? Comment puis-je entrer en possession des puissances de mon corps de façon à les mettre en œuvre ? Toutes les grandes métaphysiques seraient des artifices destinés à répondre au problème insoluble du dualisme corps/pensée.

À la même époque, Arthur Schopenhauer (1788-1860) réhabilite en des termes assez proches le corps sentant. Pour lui, seul le corps peut me révéler l’essence des choses. En observant ce qui nous entoure, on ne rencontre que des « représentations », autrement dit des images construites par notre subjectivité. Il convient, selon Schopenhauer, de reprendre le chemin des penseurs orientaux, bouddhistes en particulier, dont il est l’un des premiers lecteurs occidentaux, pour découvrir au fond de nous la réalité profonde du monde, qui est de l’ordre du « vouloir-vivre », c’est-à-dire d’une énergie invisible qui anime l’ensemble du réel.